L’intégration africaine ou le désir de l’autre
L’intégration africaine ou le désir de l’autre[1]
« Lorsque je dessine les frontières de l’Afrique, j’ai toujours l’impression de blesser les peuples »[1].
Il semble qu’à ce jour, on compte plus de 200 organisations africaines travaillant à intégrer les Etats sur les plans politiques, économiques, culturels et juridiques, alors que le niveau d’intégration du continent comparée à celui d’autres espaces intégrés (comme l’Union européenne), reste très faible[2]. La conséquence est que l’Afrique reste « le plus morcelé des continents »[3]. Or, l’espace éclaté de l’Afrique est un espace négatif pour le développement. Chaque pays africain isolé dans « son coin », est limité dans sa capacité à réaliser la paix, la stabilité, le développement durable et l’amélioration du niveau de vie de ses populations. Le projet d’une intégration africaine réussie reste donc, plus que jamais, au cœur du problème, voire du « mal africain », et sa mise en œuvre doit être considérée comme une « ardente obligation »[4].
L’objectif de cette réflexion est de mettre en valeur la « dimension humaine » de l’intégration. Nous voulons indiquer ce que sont les enjeux de la rencontre humaine et ses conséquences pour l’Afrique en termes de dialogue, d’unité, de développement, de renaissance. C’est un propos à inscrire sous le registre de la quête d’une intégration « par le bas ». Cette perspective se dote d’une ambition affichée : donner du poids et de la valeur à une expérience vécue pendant cinq ans avec des jeunes africains : les voyages interreligieux d’intégration africaine. Cette entreprise est importante au moins pour trois raisons : penser et agir avec les jeunes en faveur de l’intégration africaine, c’est permettre à la jeunesse de prendre conscience « de la nécessité absolue d’être fière de son continent, fière de sa culture, fière de son Histoire »[5] et travailler à faire des différences nationales, régionales, ethniques et religieuses, une véritable force. Ensuite, en creusant la notion d’intégration avec les jeunes, nous cherchons à montrer que le paradigme de l’intégration peut aider à la « compréhension mutuelle des questions fondamentales »[6] qui se posent aujourd’hui sur le continent africain. Enfin, c’est une manière de dire aux jeunes qu’être membre d’un réseau, c’est choisir de s’associer à un pouvoir d’action pour donner de l’impact à sa propre vision.
L’enjeu final est de contribuer à la formation des jeunes dans un esprit d’ouverture, d’altérité, où la personnalité se forme en recevant et en se donnant. Pour aider à comprendre mon propos, je m’attacherai d’abord à donner quelques repères historiques sur la question de l’intégration africaine. Je tenterai ensuite de mettre en lumière le sens de la notion d’intégration régionale africaine. L’enjeu que revêt cette intégration pour la jeunesse africaine donnera à voir les raisons pour lesquelles nous nous engageons dans cette voie avec les jeunes à travers la mise en place du Réseau de Jeunes pour l’Intégration Africaine (R.J.I.A).
Repères historiques sur le projet d’une intégration africaine
Depuis l’accession des pays africains à la souveraineté internationale, les leaders politiques n’ont pas manqué d’initier des tentatives de regroupements régionaux ou sous-régionaux. Beaucoup de penseurs africains ont estimé que l’avènement d’une Afrique politique stable devait passer par la construction d’ensembles sous-régionaux cohérents et reconnus. Ainsi la création, à l’échelle continentale, de l’OUA, Organisation de l’Unité Africaine, « sorte d’ONU à l’échelle africaine »[7], devenue Union Africaine (UA), manifestait cette volonté de construire une Afrique unie. Créée en 1963, l’OUA avait pour objectif d’aboutir à une communauté économique africaine pour l’ensemble du continent. En 1980 a été adopté le Plan d’Action de Lagos, qui prévoyait le passage vers l’unité par cinq étapes successives, en commençant par des unions régionales, pour aboutir à la communauté continentale en l’an 2000. Mais la lenteur des progrès des unions a amené l’organisation, en 1991, à reporter son ambition pour l’an 2035. Outre l’Union Africaine, on peut citer comme structure œuvrant à l’échelle continentale l’OHADA (l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires), dont le Traité a été adopté en 1993. Parmi les organisations d’intégration à vocation régionale, on peut distinguer deux grandes catégories[8]. Les unes à vocation générale d’intégration économique, les autres à vocation sectorielle. L’objectif des organismes à vocation générale d’intégration est d’aboutir à une communauté économique plus ou moins poussée au niveau d’une région comme l’Afrique de l’Ouest avec la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest), l’Afrique Centrale avec la CEMAC (Communauté Economique et monétaire d’Afrique Centrale), l’Afrique de l’Est avec la COMESA ( Acronyme anglais pour le Marché commun d’Afrique orientale et australe) et l’Afrique Australe avec la SADC (Communauté pour le développement de l’Afrique australe). Les organismes à vocation sectorielle ont, quant à eux, des objectifs et des actions limités dans le domaine du commerce ou de l’industrie comme l’ASECNA (Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne).
Globalement, les intégrations régionales constituent un aspect significatif des réalités internationales. Un peu partout dans le monde, des États s’associent, des accords d’intégration plus ou moins formalisés voient le jour qui, lorsqu’ils sont suivis d’effets, influencent les relations qui se nouent entre de nombreux acteurs publics et privés. Analysant le cas particulier de l’Afrique de l’Ouest, Mohamadou Abdoul émet l’hypothèse générale selon laquelle « un approfondissement de l’intégration des économies, des sociétés et des territoires constitue le moyen par lequel l’Afrique de l’Ouest peut se réapproprier sa propre croissance, son développement et son destin[9] ». Pour Alpha Oumar Konaré, ancien secrétaire général e l’UA, « un environnement économique mondial en rapide évolution exige que nous avancions à grands pas et de façon rationnelle pour parvenir à l’intégration régionale. Nos anciens engagements en faveur de la coopération transfrontalière nous y incitent. Et les besoins et les aspirations de nos peuples nous y obligent »[10]. On peut discerner ces anciens engagements dans le mémorable discours de Kwame Nkrumah en mai 1963 à l’OUA :
« … Tant que nous n’aurons pas réussi à mettre un terme à ce danger, par la compréhension mutuelle des questions fondamentales et par l’unité africaine qui rendra périmées et superflues les frontières actuelles, c’est en vain que nous aurons combattu pour l’indépendance. Seule l’Unité africaine peut cicatriser cette plaie infectée des litiges frontaliers entre nos divers États. (…) Le remède à ces maux est entre nos mains mêmes. Il nous confronte à chaque barrière douanière, il crie vers nous du fond de chaque cœur africain. En créant une véritable union politique de tous les États indépendants d’Afrique, dotée de pouvoirs exécutifs pour exercer une direction politique, nous pouvons avec espoir et confiance répondre à chaque circonstance critique, à chaque ennemi, à chaque problème complexe. ».
La problématique de l’intégration et de l’unité africaine est chez Nkrumah un défi lancé tant à sa génération qu’à celle d’aujourd’hui. Quand Nkrumah a eu cette idée lumineuse : « Africa must unite », écrit Joseph Ki-Zerbo, « il y avait chez lui une inspiration, une vision et une volonté qui ont fait marcher les jeunes étudiants que nous étions[11] ». Nkrumah est le premier dans l’histoire à insister sur la nécessité de créer une fédération économique à l’échelle continentale. Le panafricanisme implique chez lui, « la réalisation des groupes fondés sur la proximité géographique, l’interdépendance économiques et les affinités linguistiques et culturelles des États Africains, seul rempart possible contre la poussée néo-colonialiste d’après indépendance et seul moyen de réaliser la communauté panafricaine[12] ». C’est Nkrumah qui montre la voie vers l’intégration africaine et la construction africaine, et le panafricanisme n’est autre chose qu’un mouvement d’intégration du continent africain.
Lignes de positions : de l’intégration « par le haut » à l’intégration « par le bas »
Prenons d’abord acte de cette remarque du professeur Joseph Ki-Zerbo : « Sur l’intégration, presque tout a été dit ; et pourtant presque tout reste à faire. Tel est le drame de l’Afrique, la dichotomie entre un verbe qui reste stérile et un processus qui nous échappe ». Ces mots indiquent à merveille qu’il faut continuer à creuser le sens du mot intégration. Les définitions disponibles aujourd’hui ne manquent pas d’indiquer que « l’intégration régionale africaine » c’est l’inverse du cloisonnement des espaces géographiques, culturels, économiques, et politiques. L’intégration régionale serait la convergence politique, économique et sociale d’un ensemble de pays conscients des limites des politiques nationales et désireux d’optimiser leurs chances de développement. Pour notre propos, retenons que l’intégration est le fait pour les États africains de mettre ensemble les ressources humaine et naturelle afin de sortir le continent du sous-développement
Aujourd’hui, certains spécialistes des questions d’intégration africaine, estiment que le discours sur l’intégration a été très largement technocratique jusque-là et qu’il y a nécessité à valoriser l’intégration par le bas qui permet d’impliquer les citoyens des pays dans une dynamique que les sommités étatiques seules ne pourraient endosser d’une manière durale et pérenne. L’intégration par les dirigeants politiques est ce qu’on appelle « intégration par le haut ». Elle consiste à confier les rênes de l’intégration à la classe politique ; dirigeants politiques, leaders d’opinions en sont considérés comme les acteurs privilégiés. Cette approche institutionnelle qui a permis de réaliser des avancées, semble s’essouffler, donnant plus de place à l’intégration des peuples et des collectivités territoriales.
L’intégration par le bas est l’inverse de celle par le haut. Contrairement à la seconde qui confiait l’intégration aux leaders politiques du continent, la première vise à la fonder sur les peuples. Comme le note si bien Ali Sylla, « Fonder l’intégration sur les peuples, c’est sortir le débat sur l’unité africaine des palais présidentiels et autres salons feutrés pour la ramener dans la rue, au niveau de la société civile, dorénavant actrice, non plus simple spectatrice »[13]. L’intégration par le bas part du principe selon lequel les peuples africains, au cours de l’histoire, ont tissé des relations qui transcendent les frontières héritées de la colonisation et qui précèdent la naissance des différents États. Ces relations, quoique remontant pour la plupart à des temps immémoriaux, continuent de réguler les rapports entre ethnies, clans et tribus. L’intégration par le bas prône un retour au local, c’est-à-dire au territoire pour valoriser davantage le potentiel d’intégration régionale ouest africain. Il s’agit de replacer les populations au cœur du processus, de « construire l’Afrique à partir de ses territoires ». Cette perspective invite aussi à considérer l’intégration africaine comme une expérience humaine à vivre et un effort pour rassembler des hommes qui n’ont pas forcément les mêmes points de vue ni les mêmes habitudes culturelles.
L’intégration africaine ne peut réussir que dans la mesure où le si le continent est apaisé et stable. Or, c’est le désir réciproque des uns pour les autres qui peut instaurer un climat de paix et de sécurité. Comme l’écrit le Pape François :
« Ce n’est pas la culture de l’affrontement, la culture du conflit qui construit la vie collective dans un peuple et entre les peuples, mais celle-ci : la culture de la rencontre, la culture du dialogue : c’est l’unique voie pour la paix ». (Angélus du 1er septembre 2013)
C’est le désir de l’autre, ce sentiment qui nous pousse à rechercher l’autre – l’autre comme individu, comme ethnie ou comme État – qui constitue le fondement d’une intégration réussie. On comprend pourquoi Albert Tévoédjré invite à construire une « solidarité » qui apporte aux autres ce qui leur manque et à recevoir d’eux ce qui nous manque. Dans cette forme de solidarité, « il s’agit de nous reconnaître tels que nous sommes tous, avec toujours quelque faiblesse, avec toujours quelque besoin à couvrir, que ce soit sur le plan personnel, national ou international »[14]. Quant au Général Ferdinand Mbaou, il voit dans l’intégration africaine l’idée de « décloisonnement ». Il donne ce conseil à chaque Africain : « (…) apprends à décloisonner le cercle de ton groupe d’appartenance à quoi, pour toi, se résument l’univers et le monde. Apprends à l’ouvrir sur l’État que la colonisation t’avait légué ; puis de là, prends pied sur le continent tout entier »[15]. Par ce conseil, il invite les uns et les autres à l’ouverture sur l’autre, les exhorte à renoncer au repli sur soi. Le terme « décloisonnement », dans la mesure où il signifie tension hors de soi, projection vers l’autre, est synonyme de « désir de l’autre ». C’est dans cette voie que nous travaillons aujourd’hui à engager la jeunesse africaine.
Lignes d’actions : l’intégration comme enjeu majeur pour la jeunesse
S’adressant à la jeunesse africaine, le Professeur Joseph Ki-Zerbo écrit :
« Chaque génération doit se fixer ses enjeux (…) J’estime personnellement que l’enjeu de l’intégration africaine vaut la peine de se battre. Au lieu de laisser les chefs d’États accaparer cet enjeu de l’unité africaine que de toute façon ils ne veulent pas réaliser : chacun veut être le roi chez lui, le sultan, le roitelet. Peu importe l’unité africaine, pourvu qu’il soit le maître d’un territoire ! L’intégration africaine ne se réduit pas à un simple enjeu économique. En réalité, c’est beaucoup plus large. Les pays africains doivent se reconstituer en tant qu’entité, en tant qu’identité, en tant que personnalité »[16].
Bousculés par ces propos de l’historien burkinabè, et conscient des enjeux et des défis que présente pour l’Afrique les temps actuels, nous avons lancé en 2009, avec et pour les jeunes les voyages d’intégration africaine (VIA), et en 2011, nous avons mis en place le Réseau de Jeunes pour l’Intégration Africaine (RJIA). L’histoire des voyages interreligieux d’intégration africaine et du réseau de Jeunes pour l’Intégration Africaine est donc assez récente. Cela dit, même courte, une histoire ne cesse pas pour autant d’être l’histoire. Depuis 2009, sept éditions des voyages d’intégration africaine ont déjà été réalisées dans cinq pays différents avec des thèmes différents et regroupant chaque année plus de 50 jeunes de pays différents : le Burkina Faso en 2009 avec comme thème : « l’intégration africaine », le Bénin en 2010 avec « intégration et rencontre des cultures » comme thème, le Mali en 2011 avec le thème : « intégration et renaissance africaine », en 2012 en Côte d’Ivoire avec comme thème : « Réconciliation et intégration africaine », en 2013 au Togo avec le thème : « Citoyenneté et intégration africaine », en 2015 au Sénégal avec le thème : « Intégration africaine et culture démocratique », en 2017 au Ghana avec le thème : « La jeunesse africaine et afro-descendante face au panafricanisme : Nkrumah et la reconstruction de l’Afrique au XXIème siècle ».
Cette initiative trouve son originalité dans le fait qu’elle s’adresse à des jeunes de toutes les confessions religieuses : musulmans, catholiques, protestants, adeptes de la religion traditionnelle africaine. En initiant ces voyages, nous avons l’ambition de faire émerger les richesses présentes à l’intérieur des différences ethniques, religieuses et nationales. Notre hypothèse, c’est que les jeunes peuvent être le moteur d’une nouvelle et véritable intégration africaine. Après cinq décennies d’expériences d’intégration en Afrique, les résultats semblent fort mitigés. Ceux qui ont le plus intérêt à cette intégration que sont les acteurs de base, ne sont pas souvent pris en compte dans les politiques gouvernementales d’intégration. Cette situation fragilise le processus d’intégration « par le haut », c’est-à-dire par les règles et les institutions. Or, il y a, de la part de divers groupes sociaux, une volonté manifeste d’aspirer à un idéal d’intégration véritable. C’est le cas de la jeunesse africaine. L’enjeu donc, avec les jeunes, est de travailler à la valorisation de l’intégration « par le bas », celle qui se réalise en marge des institutions grâce aux solidarités sociales et culturelles et grâce aux réseaux. Il est entendu que cette intégration « par le bas » ne sera effective que si nous travaillons à donner la possibilité aux jeunes de pouvoir se rencontrer pour échanger entre eux. Car, les jeunes :
« Ne pourront vraiment apporter des éléments enrichissants que lorsqu’ils auront mûri leur réflexion dans les contacts avec d’autres jeunes. Pour ce faire, le tourisme culturel à l’intérieur et à l’extérieur du pays, les voyages et rencontres culturelles de jeunes, le pluralisme associatif sont à encourager…C’est dans de telles expériences que les jeunes pourront acquérir des valeurs citoyennes telles que l’acceptation de la différence, la non-violence, le souci du bien commun, etc.,»[17].
D’après le mot d’Amin Maalouf, nous sommes devenus des « compagnons de voyage », car, il n’y a plus d’étrangers dans notre monde. Nous sommes condamnés à cultiver une « pensée métisse », à voir large, à voir loin. Les voyages permettent de découvrir le sens des choses et la valeur des hommes et selon le philosophe Heidegger, « qui veut penser grandement doit errer grandement ». C’est cette possibilité de découvrir le monde, de connaître les choses et les hommes en sortant de chez soi et de soi, que nous essayons, depuis cinq ans, de donner aux jeunes à travers les voyages d’intégration africaine dans l’espace ouest africain.
Perçue sous cet angle, notre initiative est une manière de mettre en pratique le paradigme de l’intégration africaine et de l’empêcher d’être classé au registre des « mots hourra » ou des « expressions slogan ». Nous sommes à la recherche d’une intégration africaine qui ne soit pas simplement « déclarative », « incantatoire », « imaginaire », « purement théorique ou analytique », mais plutôt une intégration en état de marche et en situation d’invention. La jeunesse africaine est capable de cette mise en route d’une véritable intégration. Il faut, avec elle, travailler au déblocage de l’esprit ethniciste, nationaliste et fondamentaliste. Avec l’historien Joseph Ki-Zerbo, nous pensons que « l’identité religieuse, raciale, idéologique (…) ne doivent pas s’imposer comme schéma directeur de l’ensemble des Africains[18] ». Nous pensons que pour construire une Afrique réconciliée, nourrie par le dialogue pacifique de ses identités multiples, il nous faut donner aux jeunes l’occasion de la rencontre, du dialogue, de l’échange. Nous sommes fermement attachés à la construction d’une Afrique unie, parce que c’est « notre intérêt d’aider à l’émergence d’une Afrique politiquement stable, raisonnablement gouvernée, autosuffisante pour son alimentation, capable de fournir un emploi à ses populations, de les soigner et de les éduquer[19] ». Accompagner les jeunes dans l’éveil de leurs libertés, contribuer à la formation des consciences et à la pratique d’une fraternité réelle au-delà des différences, rapprocher des gens différents, créer du lien, faire naître la communion et la solidarité entre personnes de différents pays, de différentes ethnies, de différentes confessions religieuses, telle est une des ambitions des religieux assomptionnistes en Afrique de l’Ouest.
Conclusion
A la question : « quelles sont les grandes questions qui se posent aujourd’hui en Afrique ? », le professeur Ki-Zerbo répond : « Parmi les grandes questions, il y a d’abord celle de l’État » et il ajoute aussitôt : « Ensuite, il y a la question de l’unité et de l’émiettement de l’Afrique. Mon idée (…), c’est que l’Afrique doit se constituer à travers l’intégration »[20]. Pour lui, « le lieu de solutions de quelques-uns de nos problèmes essentiels ne réside que dans une certaine intégration de l’espace africain. En dehors de cette intégration, on parle pour ne rien dire »[21]. Il précise son idée : « sans l’unité, nous ne sommes rien. Je dis bien nous ne sommes rien, je ne dis pas nous n’avons rien[22] ». Dans ces multiples lignes, nous avons essayé de montrer que le succès de l’intégration africaine repose sur le « désir de l’autre », désir qui doit habiter tout africain. Avec ce désir, l’autre comme État, comme peuple ou comme individu n’est plus étranger ni étrange, mais il devient plutôt étrange de le considérer comme tel puisque désormais chacun est tendu vers tous par des sentiments de sympathie, de fraternité et de convivialité. C’est seulement en ce moment que frontières, barrières et cloisons tomberont. Au fond, l’intégration africaine n’est pas un projet politique parmi d’autres. C’est le projet opératoire pour donner aux sociétés africaines une configuration moderne en leur faisant triompher de l’ethnicisme et de toutes ses formes de régionalisme. C’est le projet politique (au sens de polis) qui ouvre aux peuples africains une perspective opératoire pour construire une nouvelle Afrique.
Jean-Paul Sagadou
Initiateur des Voyages d’intégration africaine (V.I.A)
Ouagadougou/Burkina-Faso
[1] Propos d’un géographe cités dans Le Monde diplomatique, décembre 2012. (Voir article de Anne-Cécile ROBERT, Que reste-t-il des frontières africaines ?, p. 15)
[2] Ali SYLLA, « Du fondement d’une intégration réussie », in Notre Afrique, n° 001, 2009, p. 40. Nous nous inspirons beaucoup de cette étude.
[3] Jean ZIEGLER, Main basse sur l’Afrique. La recolonisation, Paris, seuil, 1980, P. 21
[4] Joseph KI-ZERBO, Repères pour l’Afrique, Silex/Nouvelles du Sud, Dakar, 2007, p. 152.
[5] Edem KODJO, Panafricanisme et Renaissance africaine, Les éditions Graines de Pensées, Lomé 2013, p. 104.
[6] Extrait de son discours en mai 1963 à l’OUA, à Addis-Abeba
[7] Michel AURILAC, l’Afrique à cœur. La coopération, un message d’avenir, Paris, Berber-Levrault, 1987, p.19.
[8] Cf. Ali SYLLA, « Du fondement d’une intégration africaine réussie », in Notre Afrique, n°001, 2009.
[9] Mahamadou ABDOUL, « La coopération transfrontalière dans la problématique de l’intégration africaine : vers une Afrique de l’Ouest maîtresse de son avenir », in Au Professeur Joseph Ki-Zerbo. Hommages et témoignages, Etudes et Recherches, n° 277, Dakar, 2010, p. 73.
[10] Alpha Oumar KONARE, K. Y. AMOAKO, Etat de l’intégration régionale en Afrique, Rapport de la Commission économique pour l’Afrique, 2004.
[11] Joseph KI-ZERBO, A quand l’Afrique, op.cit, p. 16.
[12] L’Afrique noire de 1800 à nos jours, p. 392
[13] Ali SYLLA, « Du fondement d’une intégration africaine réussie », in Notre Afrique, n°001, 2009.
[14] Albert TEVOEDJRE, La pauvreté, richesse des peuples, Paris, édition économie et humanisme, 1978, p. 150.
[15] Ferdinand GENERAL MBAOU, Le développement de l’Afrique passe par l’amour de l’Afrique et des Africains, Paris, Éditions Publibook, 2007, p. 23
[16] Joseph KI-ZERBO, A quand l’Afrique, op.cit, p. 162.
[17] Maryse QUASHIE (Professeur de sciences de l’Education à l’Université de Lomé/Togo), « Dix propositions pour que les jeunes soient les accoucheurs d’une nouvelle société », in Le Rameau de Jessé, n° 1, 2000, p. 32.
[18] Joseph KI-ZERBO, repères pour l’Afrique, op.cit, p. 86.
[19] Francis SAUDUBRAY, « Les vertus de l’intégration régionale en Afrique », in Afrique contemporaine, n° 227, 2008/3, pp. 175-185
[20] Joseph KI-ZERBO, A quand l’Afrique ?, Entretien avec René Holenstein, Lausanne, Suisse, 2013, Editions d’en bas, (Première édition : 2003 ; éditions de poche : 2004)
[21] Joseph KI-ZERBO, Repères pour l’Afrique, Silex/Nouvelles du Sud, Dakar, 2007, p. 103.
[22] AA.VV ; Au professeur Joseph Ki-Zerbo. Hommages et témoignages, Série Etudes et Recherches, n° 277, Dakar, p. 123.
[1] Texte publié dans Itinéraires Augustiniens, Revue semestrielle –n° 54 – Juillet 2015, pp. 41-48