[La chronique de Jean-Paul Sagadou] – Réactiver le rêve africain : Leçons du Covid-19 pour la jeunesse africaine.
Se former au panafricanisme.
Jean-Paul est l’initiateur des Voyages d’Intégration Africaine (V.I.A). Depuis une dizaine d’années, il travaille à donner à la jeunesse africaine la possibilité de participer à la construction d’une Afrique nouvelle par des rencontres interculturelles et interreligieuses d’intégration africaine. Dans cette chronique, il est en quête les leçons du covid-19 pour la jeunesse africaine.
Réactiver le rêve africain, pour les jeunes, c’est se former au panafricanisme. Il faut inviter la jeunesse africaine à parcourir l’histoire et à prendre conscience que les luttes les plus réussies ont été celles qui remettaient en cause la manière dont les Africains ont été définis et regroupés par la mémoire européenne colonisatrice[1]. Initialement pensé par des intellectuels africains de la diaspora, puis nourrie par les idées d’Africains continentaux, le panafricanisme se veut une réponse politique aux divisions européennes de l’Afrique. Marcus Garvey, Edward Wilmot Blyden, Henry Sylvester-Williams, Amy Ashwood Garvey, W.E.B. Du Bois, C.L.R. James, Kwame Nkrumah, Georges Padmore, Frantz Fanon et beaucoup d’autres hommes et femmes ont rêvé et imaginé une Afrique unie qui aura sa lumière et sa puissance propres. Ils envisageaient une Afrique sans frontières intérieures, une Afrique qui jouerait son rôle légitime dans la communauté des nations sans complexe. Quand Kwame Nkrumah a eu la lumineuse idée de lancer son « Africa must unite »[2], il y avait chez lui une inspiration, une vision et une volonté politique qui ont fait marcher de nombreux jeunes de son époque[3]. En même temps, certains hommes politiques, à l’époque de Nkrumah, ne voulaient pas de l’unité africaine. Et voilà où nous en sommes : 60 ans après les indépendances, l’Afrique reste un continent émietté, délabré, divisé, sous-développé. 60 ans après les indépendances, les africains s’accordent sur leurs problèmes, mais ils continuent de se battre sur la manière de les résoudre.
En fait, le panafricanisme réclame un peuple de convaincus loyaux et dévoués pour illuminer l’humanité. Sans une jeunesse convaincue, l’idéologie panafricaniste restera théorique. Cheikh Anta Diop dit même que nous avons un devoir à accomplir à l’égard de l’Europe : l’aider à guérir des vieilles habitudes contractées par suite de l’exercice du colonialisme. Chaque jeune africain doit exceller dans tout ce qu’il fait pour devenir une personne complète, autonome et artisan du panafricanisme en poussant systématiquement son potentiel humain, intellectuel, matériel et spirituel au maximum. Il convient donc que chacun étudie sans cesse, s’autocritique et se corrige sans cesse. Nous devrons être des relais intelligents et pratiques du panafricanisme. L’excellence doit être notre ambition. Elle est la clé de voûte du panafricanisme. En tout état de cause, ne perdons pas la mémoire de l’histoire. Un peuple sans mémoire ni instruction adéquate se condamne à subir des maux subits dans le passé. En fait, ainsi que l’écrivent le Collectifs d’intellectuels de différents pays d’Afrique dans leur interpellation aux dirigeants du continent africain face à la pandémie du Covid-19, « le panafricanisme [aussi] a besoin d’un nouveau souffle. Il doit retrouver son inspiration originelle après des décennies d’errements. Si les progrès en matière d’intégration du continent ont été faibles jusque-là, la raison est que celle-ci n’a été conçue que sur la base de la seule « doxa » du libéralisme économique. Or, la pandémie du coronavirus montre tristement l’insuffisance de la réponse collective du continent autant sur le volet sanitaire qu’ailleurs. Plus que jamais, nous sommes placés devant la nécessité d’une gestion concertée et intégrée de domaines relatifs à la santé publique, à la recherche fondamentale dans toutes les disciplines scientifiques et aux politiques sociales »[4].
Dans le renouveau du panafricanisme, le rôle de la jeunesse doit être déterminant. Le panafricanisme n’a pas le droit d’échouer. Finalement, si la révolte de la jeunesse africaine, que l’on observe ici et là, ne s’accompagne pas de la plus profonde connaissance de soi et de l’histoire de l’Afrique, cela ne vaut pas la peine. L’urgence africaine est aussi de ce côté-là : que les jeunes africains deviennent des « poètes » pour l’Afrique.
Jean-Paul Sagadou
Initiateur des V.I.A
[1] Cf. Ngugi Wa Thiong’o, Pour une Afrique libre, Philippe Rey, Paris, 2017, p. 65.
[2] Kwame Nkrumah, L’Afrique doit s’unir, Présence africaine, 1994.
[3] Cf. Joseph KI-ZERBO, A quand l’Afrique, op. cit, p. 16.
[4] Cf. https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/130420/aux-dirigeants-du-continent-africain-face-au-covid-19-il-est-temps-dagir