Que faut-il entendre par ubuntu ?
Dans l’esprit de certains de nos contemporains, le mot « Ubuntu » renvoie d’abord au système d’exploitation informatique fondé par le sud-africain Mark Schuttleworth[1]. Cela dit, on rencontre, de plus en plus, des références[2] qui traitent de la signification originelle de ce concept africain comme une philosophie offrant une compréhension de soi, des autres et du monde. Ubuntu est donc plus qu’un système d’exploitation informatique.
Ubuntu : l’humanité à hauteur de fraternité
A la question de savoir quel mot il aimerait voir figurer dans un dictionnaire amoureux de l’Afrique, le philosophe Souleymane Bachir Diagne répond : « Trois concepts en un déjà : ubuntu, ujamaa, uhuru. Et l’expression force de vivre »[3]. Le mot est dit : ubuntu. Mais que signifie-t-il ? « La philosophie africaine de ces dernières années se résumerait-elle au concept d’Ubuntu – qui dans les langues bantoues, désigne la fraternité, l’humanisme ?», s’interrogent A. Mabanckou et A. Waberi[4]. Et cette interrogation laisse apparaître une signification fondamentale du mot Ubuntu comme « fraternité » et «humanité ». Il s’agit d’une humanité à hauteur de fraternité qui construit les êtres par partage mutuel[5].
Ubuntu : philosophie de la relation
En Afrique du Sud, Nelson Mandela et Desmond Tutu ont utilisé le mot ubuntu dans la période postapartheid, pour dire l’urgence et la nécessité éthique et politique de construire une nation arc-en-ciel. Tutu considère l’ubuntu comme « l’essence de l’être humain »[6]. En fait, le mot ubuntu est lié à un proverbe bantou : « Umuntu ngumuntu ngabantu », signifiant « je suis, parce que nous sommes ». Ce sens fait écho, par la forme et par le propos, à la célèbre phrase de Descartes « je pense donc je suis », connue sous la forme latine de «Cogito ergo sum ». Au-delà de leurs différences, le cogito de Descartes et l’ubuntu des bantous tentent de rendre compte du mystère de l’existence individuelle. Toutefois, l’ubuntu s’entend comme un cogito relationnel qui fait dire que la donnée la plus immédiate de la pensée humaine ne se formule pas seulement en « Je pense donc je suis ». Avec l’ubuntu, l’effet de vérité vient de la capacité à faire du « lien » avec autrui, à être à l’écoute de l’autre. C’est une philosophie de la relation, « centrée sur la volonté collective et le principe selon lequel les humains ne peuvent pas vivre isolés, et n’existeraient même pas les uns sans les autres »[7].
Ubuntu : promesse d’altérité
Au final, ubuntu est la capacité, dans la culture africaine, d’exprimer la compassion, la réciprocité, la dignité, l’harmonie et l’humanité dans le but de construire et de maintenir une communauté dans la justice et la bienveillance mutuelle[8]. « L’ubuntu, c’est l’altérité. C’est l’ouverture empathique aux autres. C’est le préjugé favorable par principe. C’est l’amitié préventive. C’est l’état de grâce dans les rapports humains »[9].
Jean-Paul SAGADOU
Initiateur des Ateliers Ubuntu (A.T.U)
E-mail : sagadoujeanpaul@gmail.com
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ubuntu_(syst%C3%A8me_d%27exploitation)
[2] On peut citer le magnifique livre de Mungi NGOMANE, Ubuntu. Je suis car tu es. Leçons de sagesse africaine, Ed. Harper Collins, Paris 2019. ; Mais aussi la toute récente exposition « Ubuntu, un rêve lucide » qui a eu lieu au Palais de Tokyo à Paris, du 26 novembre au 20 mars 2022, et où une vingtaine d’artistes contemporains d’Afrique et de la diaspora ont inscrit leurs œuvres dans cette philosophie africaine de l’ubuntu, à la fois ancienne et encore à créer. Voir : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20211126-l-art-et-l-esprit-africain-ubuntu-cette-philosophie-est-%C3%A0-cr%C3%A9er.
[3]https://www.lepoint.fr/culture/souleymane-bachir-diagne-des-imaginaires-nouveaux-sont-a-l-oeuvre-04-11-2016-2080858_3.php consulté le 17/03/22 à 18h25
[4] Alain Mabanckou et Abdourahman Waberi, Dictionnaire enjoué des cultures africaines, Ed. Arthème Fayard, Paris, 2019, p. 299.
[5] Cf. Pierre FRATH et René DAVAL, Cogito versus ubuntu. Les rapports entre individus et société analysés dans un cadre anthropologique et linguistique, Ed. Sapientia Hominis, Reims, 2019, p. 17.
[6] Desmond TUTU, Il n’y a pas d’avenir sans pardon (1999), Trad. Josiane et Alain Deschamps, Paris, Albin Michel, 2000.
[7] Carlos LOPES, L’Afrique est l’avenir du monde. Repenser le développement, Seuil, Paris, 2021, p. 64.
[8] Pour aller plus loin dans la compréhension du mot « ubuntu », voir J-P. SAGADOU, Quand la vie religieuse se fait ubuntu, Bayard Africa, Ouagadougou, 2022, pp. 14-18.
[9] Joseph KI-ZERBO, Repères pour l’Afrique, Ed. Panafrika Silex/Nouvelles du Sud, Dakar, 2007, p. 118.