2022 octobre

21 octobre 2022
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Que faut-il entendre par ubuntu ?

Dans l’esprit de certains de nos contemporains, le mot « Ubuntu » renvoie d’abord au système d’exploitation informatique fondé par le sud-africain Mark Schuttleworth[1]. Cela dit, on rencontre, de plus en plus, des références[2] qui traitent de la signification originelle de ce concept africain comme une philosophie offrant une compréhension de soi, des autres et du monde. Ubuntu est donc plus qu’un système d’exploitation informatique.

Ubuntu : l’humanité à hauteur de fraternité

A la question de savoir quel mot il aimerait voir figurer dans un dictionnaire amoureux de l’Afrique, le philosophe Souleymane Bachir Diagne répond : « Trois concepts en un déjà : ubuntu, ujamaa, uhuru. Et l’expression force de vivre »[3]. Le mot est dit : ubuntu. Mais que signifie-t-il ? « La philosophie africaine de ces dernières années se résumerait-elle au concept d’Ubuntu – qui dans les langues bantoues, désigne la fraternité, l’humanisme ?», s’interrogent  A. Mabanckou et A. Waberi[4]. Et cette interrogation laisse apparaître une signification fondamentale du mot Ubuntu comme « fraternité » et «humanité ». Il s’agit d’une humanité à hauteur de fraternité qui construit les êtres par partage mutuel[5].

Ubuntu : philosophie de la relation

En Afrique du Sud, Nelson Mandela et Desmond Tutu ont utilisé le mot ubuntu dans la période postapartheid, pour dire l’urgence et la nécessité éthique et politique de construire une nation arc-en-ciel. Tutu considère l’ubuntu comme « l’essence de l’être humain »[6]. En fait, le mot ubuntu est lié à un proverbe bantou : « Umuntu ngumuntu ngabantu », signifiant « je suis, parce que nous sommes ». Ce sens fait écho, par la forme et par le propos, à la célèbre phrase de Descartes « je pense donc je suis », connue sous la forme latine de «Cogito ergo sum ». Au-delà de leurs différences, le cogito de Descartes et l’ubuntu des bantous tentent de rendre compte du mystère de l’existence individuelle. Toutefois, l’ubuntu s’entend comme un cogito relationnel qui fait dire que la donnée la plus immédiate de la pensée humaine ne se formule pas seulement en « Je pense donc je suis ». Avec l’ubuntu, l’effet de vérité vient de la capacité à faire du « lien » avec autrui, à être à l’écoute de l’autre. C’est une philosophie de la relation, « centrée sur la volonté collective et le principe selon lequel les humains ne peuvent pas vivre isolés, et n’existeraient même pas les uns sans les autres »[7].

Ubuntu : promesse d’altérité

Au final, ubuntu est la capacité, dans la culture africaine, d’exprimer la compassion, la réciprocité, la dignité, l’harmonie et l’humanité dans le but de construire et de maintenir une communauté dans la justice et la bienveillance mutuelle[8]. « L’ubuntu, c’est l’altérité. C’est l’ouverture empathique aux autres. C’est le préjugé favorable par principe. C’est l’amitié préventive. C’est l’état de grâce dans les rapports humains »[9].

 

 

Jean-Paul SAGADOU

Initiateur des Ateliers Ubuntu (A.T.U)

E-mail : sagadoujeanpaul@gmail.com

 

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ubuntu_(syst%C3%A8me_d%27exploitation)

[2] On peut citer le magnifique livre de Mungi NGOMANE, Ubuntu. Je suis car tu es. Leçons de sagesse africaine, Ed. Harper Collins, Paris 2019. ; Mais aussi la toute récente exposition « Ubuntu, un rêve lucide »  qui a eu lieu au Palais de Tokyo à Paris, du 26 novembre au 20 mars 2022, et où une vingtaine d’artistes contemporains d’Afrique et de la diaspora ont inscrit leurs œuvres dans cette philosophie africaine de l’ubuntu, à la fois ancienne et encore à créer. Voir : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20211126-l-art-et-l-esprit-africain-ubuntu-cette-philosophie-est-%C3%A0-cr%C3%A9er.

[3]https://www.lepoint.fr/culture/souleymane-bachir-diagne-des-imaginaires-nouveaux-sont-a-l-oeuvre-04-11-2016-2080858_3.php consulté le 17/03/22 à 18h25

[4] Alain Mabanckou et Abdourahman Waberi, Dictionnaire enjoué des cultures africaines, Ed. Arthème Fayard, Paris, 2019, p. 299.

[5] Cf. Pierre FRATH et René DAVAL, Cogito versus ubuntu. Les rapports entre individus et société analysés dans un cadre anthropologique et linguistique, Ed. Sapientia Hominis, Reims, 2019, p. 17.

[6] Desmond TUTU, Il n’y a pas d’avenir sans pardon (1999), Trad. Josiane et Alain Deschamps, Paris, Albin Michel, 2000.

[7] Carlos LOPES, L’Afrique est l’avenir du monde. Repenser le développement, Seuil, Paris, 2021, p. 64.

[8] Pour aller plus loin dans la compréhension du mot « ubuntu », voir J-P. SAGADOU, Quand la vie religieuse se fait ubuntu, Bayard Africa, Ouagadougou, 2022, pp. 14-18.

[9] Joseph KI-ZERBO, Repères pour l’Afrique,  Ed. Panafrika Silex/Nouvelles du Sud, Dakar, 2007, p. 118.


11 octobre 2022
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Ubuntu : le don de l’Afrique pour le monde

 

Selon Desmond Tutu : « Les Africains ont une chose appelée ubuntu. Il s’agit de l’essence même de l’être humain, qui fait partie du cadeau que l’Afrique va offrir au monde. Il englobe l’hospitalité, l’attention portée aux autres, la volonté de faire un effort supplémentaire pour le bien d’autrui. Nous croyons qu’une personne est une personne à travers d’autres personnes, que mon humanité est prise, liée, inextricablement, à la vôtre. Lorsque je te déshumanise, je me déshumanise inexorablement. L’être humain solitaire est une contradiction dans les termes. C’est pourquoi vous cherchez à travailler pour le bien commun, car votre humanité prend tout son sens dans la communauté, dans l’appartenance »[1].

Ainsi donc, cette «  chose » qu’on appelle « Ubuntu » n’est pas une propriété privée des Africains, encore moins des peuples bantous d’Afrique Australe. Si ubuntu est une valeur caractéristique des peuples africains, ce n’est nullement en raison de la couleur de la peau, mais de leur expérience historique. Ubuntu n’a pas de « couleur », c’est « une force qui va » (Victor Hugo) avec tous les humains. Fondamentalement, «L’exigence ubuntu est une exigence qui s’adresse à tous » dans la mesure où ubuntu signifie « faire humanité ensemble, réaliser notre humanité dans la réciprocité»[2].

L’ubuntu n’est pas réservé  à ceux qui vivent en deçà du Sahara. Il peut être partagé par tous ceux qui se reconnaissent comme des êtres humains. La maxime « une personne est une personne à travers d’autres personnes » que les africains invoquent souvent pour résumer les perspectives sahariennes, n’est pas une propriété privée des Africains. Le sens de cette maxime peut être compris et apprécié par des personnes d’origines diverses. Ce n’est donc pas un concept « fermé », et « confiné » en Afrique.

Il faut penser l’ubuntu comme une «  ressource » ? Or, comme l’écrit François Jullien, « les ressources ne se concurrencent pas. Elles s’ajoutent les unes aux autres, au fur et à mesure de leur exploration diverse, et s’enrichissent par leurs écarts. Elles ne s’excommunient pas »[3]. Les ressources donnent à penser et n’existent qu’autant qu’on les fait fructifier. Notre responsabilité en tant qu’humains, c’est d’activer à nouveaux frais l’ubuntu pour l’exploiter et l’explorer. C’est, du reste, cet effort que fait Séverine Kodjo-Grandvaux dans son magnifique livre Devenir Vivant, quand elle pense l’ubuntu en rapport avec le Vivant. Ubuntu est donc un potentiel offert à tous. Non seulement il faut le détacher de son marquage « bantou » et l’ouvrir à toute l’Afrique, mais bien plus, il faut le « présenter » et le rendre disponible pour le reste du monde. Ubuntu, ainsi que l’écrit Nelson Mandela, n’est pas un « phénomène paroissial ». Ubuntu traverse et transcende les frontières. Il faut le prendre au sérieux. Disons, avec les mots de Jean Claude Guillebaud, qu’il « faut (…) prendre au sérieux l’extraordinaire capacité des Africains à fabriquer ou à entretenir du lien social, c’est-à-dire de la solidarité agissante »[4]. Ubuntu est une philosophie du « lien » qui a l’ambition de produire du commun et de l’en-commun.

Un des grands défis lancés à notre humanité est de travailler à bâtir un avenir commun fondé sur notre commune condition humaine, dans le respect de la diversité qui fait sa richesse. Pour J. Mbayo, « l’Afrique, par les valeurs de la vie et de l’ubuntu qu’elle véhicule, est à mesure de proposer un projet de civilisation novatrice à l’ensemble de l’humanité »[5]. Mais bien évidemment, « ubuntu n’est pas un cadeau du père Noël » (Joseph Ki-Zerbo). Ce n’est pas un donné, c’est une tâche à faire, un idéal et un projet à construire, à concrétiser. L’appropriation de cette « ressource » qu’est l’ubuntu dépend des efforts que nous ferons pour produire un nouveau narratif dans nos relations entre êtres humains et aussi avec le reste du vivant.

Ce qui serait souhaitable, c’est que cette « ressource » qu’est l’ubuntu, fasse naître en nous et autour de nous des « hommes sources » et non des « hommes boues ». Il faut faire la distinction entre ces deux types d’hommes. Les « hommes-sources » sont ceux auprès de qui d’autres peuvent se ressourcer, et les « hommes-boues » sont ceux qui pataugent dans la boue et qui entraînent les autres dans la boue[6].

Ubuntu est en quelque sorte une pensée du monde qui désire rencontrer d’autres pensées du monde. De ce point de vue, ubuntu dit quelque chose de notre commune condition humaine.

 

Jean-Paul Sagadou

 

[1] Cité ici : http://www.harisingh.com/UbuntuAge.htm)

[2] Souleymane Bachir Diagne, Cf.https://www.youtube.com/watch?v=RPa4_LBLw50

[3] François JULLIEN, Ressources du christianisme, L’Herne, Paris, 2018, p. 27.

[4] Cf. Jean-Claude GUILLEBAUD, La confusion des valeurs, Paris, Desclée de Brouwer, 2009, P. 252-253.

[5] J. MBAYO MBAYO, Bumuntu ou la culture de l’excellence, volume 1. Les prolégomènes, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2017, p. 161.

[6] Ibid., p. 120-121.



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