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1 septembre 2023
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J-P. Sagadou : Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs du site des V.I.A ?

Hafsatou Ouédraogo : Je suis Bintou Hafsatou Ouédraogo, Professeur certifié des Lycées et Collèges d’enseignement secondaire en anglais au Burkina Faso. Je suis membre du RJIA depuis 2017. Cette 8ème édition était ma deuxième participation aux V.I.A.

J-P. Sagadou : Pouvez-vous partager avec nous une expérience marquante de la 8ème édition des voyages d’intégration africaine ?

Hafsatou Ouédraogo : L’une des expériences marquantes de cette 8ème édition des V.I.A fût la rencontre avec Mme Marguerite Barankitse appelée affectueusement « Maman Maggy »,  fondatrice de la « Maison Shalom ». J’ai été édifiée par son histoire. Sa vie est un enseignement sur le pouvoir de la foi en Dieu. La grandeur d’âme de cette dame ne laisse pas indifférent. Le don de sa vie au service de la dignité des réfugiés interpelle chacun d’entre nous et nous appelle à grandir en humanité. « Mon rêve est d’humaniser le monde », disait-elle. Je me laisse habiter par ces mots.

J-P. Sagadou : Le thème était : « la jeunesse des mondes Africains : comment construire un monde de l’en-commun, de l’Ubuntu » Selon vous, ce VIA a-t-il permis de travailler à la construction d’un monde de l’Ubuntu ? Pouvez-vous donner des exemples concrets ?

Hafsatou Ouédraogo : La dynamique des V.I.A en elle-même vise la construction d’un monde de l’Ubuntu. La diversité de nationalités des participants et de leurs compétences ainsi que la pédagogie transformationnelle utilisée, sont des exemples concrets de ce désir de construire un monde l’ubuntu. Les V.I.A sont un espace du donner et du recevoir où on développe une grande ouverture au monde. J’ai aimé les différentes pédagogies de transmissions utilisées pendant le V.I.A ; notamment lors des ateliers.  Cela nous a plongés au cœur des valeurs de l’ubuntu tout en indiquant la nécessité de notre interdépendance dans la quête des solutions aux problèmes de notre continent.

J-P. Sagadou : D’après vous, en quoi les VIA contribuent à renouveler notre rapport aux autres et au continent africain ?

Hafsatou Ouédraogo : La diversité fait l’originalité et la beauté des V.I.A. La rencontre de l’autre nous enseigne d’avantage sur nos cultures et fait montre d’un amour commun de notre continent. Les visites du Palais du royal à Nyanza et du musée ethnographique, nous donnent des leçons d’histoire sur le passé glorieux de l’Afrique. Le retour à l’histoire passée de l’Afrique redonne de la dignité aux jeunes africains, en même temps qu’il leur permet de développer une plus grande estime d’eux-mêmes et de leur continent.

J-P. Sagadou : Qu’est-ce que votre participation à cette édition vous- a-t-il appris sur vous-même, sur les autres et sur l’Afrique ?

Hafsatou Ouédraogo : Cette participation à cette 8ème édition m’a surtout appris la force du pardon et de la résilience. En visitant le Rwanda, les leçons tirées de la visite du Mémorial du Génocide des Tutsis et les différents témoignages des intervenants ont forgé l’être humain  que je suis. Par rapport aux autres, l’histoire du Rwanda nous interpelle et nous rappelle que nous sommes tous des êtres humains et que nous aspirons tous à un bien-être. Il nous faut, selon les mots de Maggy, travailler à donner « le meilleur à notre semblable ». Enfin, pour construire l’Afrique d’aujourd’hui et de demain ayons en tête l’enseignement de la sagesse africaine qui dit «  qu’une seule main ne ramasse pas la farine ». C’est donc ensemble que nous relèverons les défis de l’intégration et de l’unité de l’Afrique.


23 juillet 2023
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Les Voyages d’intégration Africaine (V.I.A) : Faire de l’Afrique un continent qui se nourrit du passé pour mieux aller de l’avant !

Depuis 14 ans….

Depuis 2009, de nombreux jeunes  d’Afrique et de da diaspora, vivent une expérience interculturelle et interreligieuse d’intégration africaine.  Ils ont entre 20 et 40 ans ils ont acquis une conviction : la rencontre de l’autre, le dialogue entre les cultures et les religions dans le respect mutuel, sont la condition sine qua non de la construction de la cohésion sociale, de la réconciliation entre les peuples et de la paix entre les nations.

En réseau….

La plupart de ces jeunes  sont regroupés autour du Réseau de Jeunes pour l’Intégration Africaine (R.J.I.A). L’objectif principal de ce réseau : sensibiliser la jeunesse africaine aux défis les plus importants du XXIe pour l’Afrique : le défi de l’intégration et celui de l’unité du continent africain. Les sensibiliser aussi aux vertus de la diversité et du dialogue interculturel et interreligieux sur la base du paradigme d’une Afrique plurielle où diversité et dialogue interculturel se renforcent mutuellement.

Après le Burkina en 2009, le Bénin en 2010, le Mali en 2011, la Côte d’Ivoire en 2012, le Togo en 2013, le Sénégal en 2015 et le Ghana en 2017, c’est au Rwanda que va se tenir la 8ème édition avec le thème : «La jeunesse des mondes africains : comment construire un monde de l’en-commun, de l’ubuntu

Si l’organisation de ce V.I.A est portée essentiellement par le Réseau de Jeunes  pour l’Intégration Africaine (RJIA), l’aventure du Rwanda se mène en partenariat avec deux associations de jeunes afro-descendants:  HIDAYA, qui est une association d’éducation populaire qui a pour objectif  la transmission et la valorisation des créations, pratiques et savoirs panafricains, et PANAFRICAN STORIES qui est un collectif né à l’initiative de jeunes femmes afro descendantes qui décident de se réunir afin de proposer des réponses à celles et ceux qui s’interrogent sur les thématiques du continent africain.

Le RJIA a une forte expertise sur l’organisation des voyages d’intégration. Il a déjà organisé 7 éditions dans 7 pays différents de l’Afrique de l’Ouest. Fortement engagé en faveur de l’intégration africaine, le RJIA a aussi l’expérience du dialogue interreligieux, du dialogue interculturel et intergénérationnel. Quant à l’Association HIDAYA, elle a une expertise sur l’éducation au panafricanisme et les techniques d’animations et de créativité en direction de la jeunesse. Enfin, PANAFRICAN STORIES invite à regarder et à comprendre le monde d’un point de vue africain.

Pour l’intégration africaine…

Depuis de nombreuses années, l’intégration africaine est devenue un véritable projet pour les Etats africains. L’idée est de mettre ensemble les ressources humaine et naturelle afin de sortir le continent du sous-développement.  A notre modeste place, nous pensons qu’il est bon que les jeunes soient partie prenante de cette dynamique. C’est cette occasion que nous voulons offrir aux jeunes en organisant les voyages d’intégration africaine, des voyages qui ont la prétention d’offrir à la jeunesse africaine la possibilité de participer à la construction d’une Afrique nouvelle par la rencontre humaine.

Le choix du Rwanda…

C’est à Kigali, au Rwanda, que se tiendra la 8ème édition des V.I.A. Près de 30 ans après le génocide des Tutsis, les Rwandais ont travaillé à « réparer » les cœurs, travaillant depuis lors, à permettre à leur pays de renaître des cendres.  Les tribunaux populaires (Gacaca)  ont permis, entre autre, d’engager une palabre créatrice, patiente et exigeante pour tenter de retisser les morceaux de tissus complètement déchiquetés de la société rwandaise. « Matrices symboliques », issues des valeurs traditionnelles endogènes, ces tribunaux Gacaca ont donné à penser, à la manière de l’Ubuntu en Afrique du Sud, que la réconciliation et la renaissance pouvaient être inscrites dans l’ordre des choses possibles.

Par ailleurs, le leadership du Président Paul Kagamé stimule aussi l’élan d’une bonne partie de la jeunesse africaine. Lors de la 8ème session du Forum régional africain pour le développement durable (FRADD), qui s’est tenue à Kigali, au Rwanda, du 3 au 5 mars 2022, Paul Kagamé a indiqué que « Construire l’Afrique que nous voulons dépend de nous».

Avec les V.I.A, nous travaillons justement à promouvoir des modèles endogènes de construction ou de reconstruction de l’Afrique, de consolidation de la paix et de construction d’une Afrique unie et forte. Nous voulons apporter notre contribution à la formation de la jeunesse africaine dans le domaine du dialogue interculturel et interreligieux dans une dynamique d’intégration africaine.

A la rencontre de la jeunesse rwandaise…

La tenue de cette 8ème édition au Rwanda, sera l’occa­sion d’aller à la rencontre de la jeunesse rwandaise, et de mener avec elle et pour elle, des réflexions et des actions concrètes en faveur du vivre-ensemble, de la fabrique de l’en-commun, du dialogue interreligieux et interculturel dans la dynamique de l’intégration africaine.

Il faut noter que la Charte africaine de la jeunesse, invite à « prépa­rer les jeunes à une vie responsable dans des sociétés libres qui militent pour la paix, l’entente, la tolérance, le dialogue, le respect mutuel et l’amitié entre les Nations et à travers tous les groupements de peuples ». La même charte suggère de travailler à « renforcer les capacités des jeunes et des organisa­tions des jeunes dans la consolidation de la paix, la prévention des conflits et la résolution des conflits à travers la promotion d’une éducation interculturelle, l’éducation au civisme, à la tolérance, aux droits humains, à la démocratie, au respect mutuel de la diversité culturelle, ethnique et religieuse, et à l’impor­tance du dialogue, de la coopération, de la responsabilité, de la solidarité… »

A travers la 8ème édition en terre rwandaise, le RJIA, à travers les V.I.A, veut continuer à promouvoir le dialogue interreligieux et interculturel et à travailler à la reconstruction d’un monde de l’en-commun.

Jean-Paul Sagadou

Initiateur des V.I.A

 

 


24 décembre 2022
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Les V.I.A, ce sont les Voyages d’Intégration Africaine !

Et c’est parti pour les inscriptions à la 8ème édition, dont voici ici les conditions !

Venez vivre une expérience sans pareil sur le continent africain!  Apprêtez-vous donc !  En août 2023 nous nous envolons pour Kigali au Rwanda.

Rencontres, découvertes, divertissement, culture et esprit panafricanisme, seront au rendez-vous.

Le thème général : « La jeunesse des mondes africains : comment construire un monde de l’en-commun, de l’Ubuntu ? »

Venez vivre cette aventure passionnante au RWANDA, avec le Réseau de Jeunes pour l’intégration africaine (RJIA) en partenariat avec HIDAYA, PANAFRICAN STORIES, et le REPHI.

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Généralités

Conditions de participation : Être âgé (e) de 20 à 40 ans.

Vouloir vivre une expérience humaine, interreligieuse, interculturelle et panafricaine

Date limite d’inscription : Mai 2023

Période du voyage : Août 2023

Dates du séjour : Du mardi 1er au dimanche 13 août 2023

Lieu / Ville : KIGALI

Pays participants : Afrique-Europe

Moyen de Locomotion : Avion

Nombre de participants prévu : 70 participant(e)s

Frais de participation

  • A partir de l’Afrique: 850 000 CFA (Tous frais compris)
  • A partir d’Europe et d’Amérique: 2100 € (entre le 1er janvier et le 30 avril 23) et  2500 € (entre le 1er mai et le 30 juin) – Tous frais compris

Modalités de paiement (à partir d’Afrique)

Deux possibilités : en trois tranches ou en deux tranches

Trois tranches

  • 1ère tranche au 28 février  2023 : 290 000 XOF
  • 2ème tranche au 30 avril 2023 : 280 000 XOF
  • 3eme tranche au 27 Juin 2023 :  280 000 XOF

En deux tranches

  • 1ère tranche au 28 février  2023 : 425 000 XOF
  • 2e tranche au 27 juin 2023 : 425 000f XOF
  • Modalités de paiement (à partir d’Europe et d’Amérique)

 Deux possibilités

  • Entre le 1er janvier et 30 Avril 2023 [EARLY BIRDS] : 2100€
  • Entre du 1er Mai et le 30 juin : 2500 €

Modalités d’inscription :

Payement par Virement bancaire :

Intitulé du Compte :

Réseau des Jeunes pour l’intégration africaine / Secteur 01 Saint Léon / Ouagadougou / BURKINA FASO

Code banque Code Guichet Numéro RIB Domiciliation
BF 084 01022 000266580002 81 BANK OF AFRICA – BURKINA FASO

 

IBAN : BF 42  BF08 4010 2200 0266 5800 0281                                                     SWIFT : AFRIBFBF

  • NB : A chaque versement, scanner le reçu et le transmettre au Comité d’organisation à l’adresse : integrationafricaine@gmail.com Bien évidemment, tout processus de paiement ne peut se mettre en route que si la candidature a été validée et notifiée au candidat par retour de mail.

Documents 

Fiche d’inscription
Conditions de participation
Lignes de position et d’action

 

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17 février 2022
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Ubuntu : les racines d’une vision nouvelle pour l’Afrique

Depuis plus de 20 ans, je lis le philosophe Emmanuel Mounier, le promoteur du personnalisme communautaire. Il se trouve que chez Mounier, le problème de l’Autre, la question de notre relation réciproque est au cœur de sa pensée. Mounier m’a appris que c’est dans la rencontre avec l’autre, dans la confrontation avec lui qu’on se découvre. Un peu comme Socrate, il refusait de concevoir une vérité qui ne passe pas par les autres. Le personnalisme communautaire de Mounier, proclame qu’en dehors de moi, il existe d’autres personnes et que je dois faire des efforts pour les rencontrer.

 

En lançant les Voyages d’Intégration Africaine (V.I.A) en 2009, à partir du Togo pour la jeunesse africaine, j’étais habité par la pensée de ce philosophe pour qui dit « chacun n’a sa vérité que relié à tous les autres ». Mais, même si je sais que Mounier a séjourné en Afrique, qu’il a écrit un livre intitulé l’Eveille de l’Afrique noire dont j’ai eu la joie de préfacer la réédition, j’étais en quête d’un mot, d’un concept qui puisse offrir la légitimité d’un point de vue africain sur l’Afrique, la quête d’une pensée africaine ancrée dans le contexte de la modernité et attentive à l’actualité douloureuse du continent africain. La légitimité de penser avec les jeunes africains les situations de l’Afrique à partir de leurs propres concepts et catégories. J’ai trouvé ce mot dans celui d’Ubuntu. Mais que signifie-t-il ? (I). En quoi cette notion peut être fructueuse pour envisager la renaissance africaine (II), quelle est son actualité de ce concept (IV) et quels sont les chantiers qu’il engage à explorer (V).

I. Que signifie le mot Ubuntu ?
  1. Nelson Mandela : l’homme de l’Ubuntu

Le 10 décembre 2013, au stade de Soweto, à Johannesburg. Devant plus de quarante mille personnes, Barack Obama rend hommage à Nelson Mandela, le père de la nation arc-en-ciel décédé cinq jours plus tôt. Il salue en lui l’homme de l’Ubuntu, « un mot déclare-t-il, qui incarne le plus grand don de Mandela, celui d’avoir reconnu que nous sommes tous unis par des liens invisibles, que l’humanité repose sur un même fondement, que nous nous réalisons en donnant de nous-mêmes aux autres et en veillant à leurs besoins ». Pouvant être traduit par « je suis parce que nous sommes », Ubuntu appréhende l’individu dans sa relation avec les autres. Le vocable « Ubuntu » appartient au groupe ethnique des Bantous (ensemble de peuples africains parlant plus de 400 langues apparentées ; – Lingala, swahili, Kikongo, zulu, etc..). Il a été popularisé par Mgr Desmond Tutu et Nelson Mandela au cours des travaux de la Commission Vérité et Réconciliation, qui a permis à l’Afrique du Sud d’organiser et de gérer la transition de la période d’Apartheid vers la démocratie pluraliste. La CVR s’est inspirée de l’Ubuntu et non pas de la démocratie occidentale. La défaite de l’apartheid et son corollaire, l’élection démocratique de Nelson Mandela en tant que président d’Afrique du Sud, ont été considérés comme des moments décisifs où a pu être redessinée une vision nouvelle pour l’avenir de l’Afrique. Le successeur de Mandela, Thabo Mbeki, dans son ouvrage, Le temps est venu pour l’Afrique, considère cette époque comme inaugurant une nouvelle étape dans l’histoire de l’Afrique, le temps de la renaissance.

  1. Ubuntu : un appel à l’unité et à la solidarité

Ubuntu dit que le progrès, l’amélioration, l’évolution, le développement ne peuvent être l’œuvre d’une personne, qu’il faut plutôt s’associer, se mettre à plusieurs. C’est donc un appel à l’unité, à l’amour, à la dignité, à l’harmonie. Ubuntu enseigne que le moteur de l’histoire n’est pas forcément dans l’affrontement et dans la compétition, mais dans la collaboration et la coopération. Il considère que l’association (le fait de s’associer pour faire une chose) est une forme plus évoluée pour l’être humain que l’éclatement et l’isolement. L’association est un marqueur de progrès pour l’humanité. Ubuntu enseigne qu’on ne peut pas être heureux tout seul. C’est ce qu’enseigne l’histoire de l’anthropologue américain et les enfants africains que vous avez peut-être déjà entendue : « un anthropologue qui se trouvait dans la tribu Xhosa d’Afrique australe. Afin de mieux étudier le modèle social de la communauté, il proposa un jeu aux enfants. Il avait disposé au pied d’un arbre une corbeille de fruit et annonça : « le premier d’entre vous qui arrive au panier de fruit remportera tous les fruits pour lui ». Alors qu’il s’attendait à les voir courir pour remporter le cadeau proposé, les enfants se tinrent la main et avancèrent ensemble vers la corbeille. Intrigué l’anthropologue leur demanda pourquoi ils agissaient de la sorte. Ce à quoi, un enfant lui répondit : « Ubuntu » puis compléta au regard éberlué de l’anthropologue « Comment pourrais-je être heureux si les autres sont tristes et n’ont rien ? Ubuntu, je suis parce que nous sommes » Ubuntu est contre la concurrence exacerbée où les faibles et les pauvres sont écrasés. Dans la perspective de l’Ubuntu, connaître le succès n’est pas un grand bien si on y parvient aux dépens des autres et en étant agressivement compétitif. En fait, « nous ne nous développons pas sans qu’il y ait compétition, mais une compétition qui n’admet pas l’autre et n’a pas besoin de l’autre est barbare et destructrice » (Cf. Rowan Williams, cité par Timothy Radcliffe, pourquoi donc être chrétien, p. 197)

  1. Ubuntu : un appel à l’unité et à la solidarité

Ubuntu dit que le progrès, l’amélioration, l’évolution, le développement ne peuvent être l’œuvre d’une personne, qu’il faut plutôt s’associer, se mettre à plusieurs. C’est donc un appel à l’unité, à l’amour, à la dignité, à l’harmonie. Ubuntu enseigne que le moteur de l’histoire n’est pas forcément dans l’affrontement et dans la compétition, mais dans la collaboration et la coopération. Il considère que l’association (le fait de s’associer pour faire une chose) est une forme plus évoluée pour l’être humain que l’éclatement et l’isolement. L’association est un marqueur de progrès pour l’humanité. Ubuntu enseigne qu’on ne peut pas être heureux tout seul. C’est ce qu’enseigne l’histoire de l’anthropologue américain et les enfants africains que vous avez peut-être déjà entendue : « un anthropologue qui se trouvait dans la tribu Xhosa d’Afrique australe. Afin de mieux étudier le modèle social de la communauté, il proposa un jeu aux enfants. Il avait disposé au pied d’un arbre une corbeille de fruit et annonça : « le premier d’entre vous qui arrive au panier de fruit remportera tous les fruits pour lui ». Alors qu’il s’attendait à les voir courir pour remporter le cadeau proposé, les enfants se tinrent la main et avancèrent ensemble vers la corbeille. Intrigué l’anthropologue leur demanda pourquoi ils agissaient de la sorte. Ce à quoi, un enfant lui répondit : « Ubuntu » puis compléta au regard éberlué de l’anthropologue « Comment pourrais-je être heureux si les autres sont tristes et n’ont rien ? Ubuntu, je suis parce que nous sommes ». Cette histoire n’a pas d’ancrage historique. On ne sait pas exactement quel anthropologue aurait proposé ce jeu à ces enfants, ni l’auteur qui rapporte cette histoire, encore moins à quel moment cette histoire se serait passée. Ce flou historique, n’empêche pas d’apprécier « l’impact métaphorique de ce conte universel, accessible à toutes et tous ».

Ubuntu est contre la concurrence exacerbée où les faibles et les pauvres sont écrasés. Dans la perspective de l’Ubuntu, connaître le succès n’est pas un grand bien si on y parvient aux dépens des autres et en étant agressivement compétitif. En fait, « nous ne nous développons pas sans qu’il y ait compétition, mais une compétition qui n’admet pas l’autre et n’a pas besoin de l’autre est barbare et destructrice » (Cf. Rowan Williams, cité par Timothy Radcliffe, pourquoi donc être chrétien, p. 197)

  1. Ubuntu : Une éthique de vie.

L’Ubuntu est d’abord une éthique de vie. Une manière d’être. Un peu comme quand on dit « hommes intègres ».  C’est tout une philosophie et derrière l’expression « d’hommes intègres », il y a les valeurs de l’Ubuntu : la justice, l’égalité, l’intégrité, la solidarité, la liberté, le partage, l’intérêt collectif. Plus précisément, Ubuntu est un état d’esprit ou un art de vivre qui décrit le fait d’aller spontanément vers l’autre. L’Ubuntu est donc un savoir-être, une pratique de la fraternité au quotidien : c’est le fait d’aller vers l’autre avant même que celui-ci en formule la demande. La philosophie d’Ubuntu reconnaît non seulement la diversité mais surtout la complémentarité de l’humanité. C’est une base solide pour construire une société d’équité, de solidarité, de fraternité et de promotion de l’excellence collective.

  1. Ubuntu ou le cogito africain

Ubuntu est le produit d’une vision africaine du monde basée sur le relationnel et l’interrelationnel. Comme vous le savez, la rationalité cartésienne a été considérée comme représentative de l’individualisme occidental moderne (« Je pense, donc je suis »). Le concept Ubuntu modifie radicalement cette doctrine de l’individualisme et affirme que le statut de la personne dépend de sa relation aux autres. « Je suis, parce que nous sommes ». Le cogito cartésien est sensé produire un type d’homme qui soit à l’aise dans les efforts, la volonté, la pensée, l’organisation, le calcul, la prévision, le discours clair et distinct. Le cogito ubuntu, quant à lui, est sensé produire un type d’homme qui soit à l’aise dans les valeurs de la justice, de l’égalité, de la solidarité, de la liberté, du dialogue, du partage, de l’intérêt collectif, etc. L’objectif principal d‘Ubuntu est d’établir des relations harmonieuses entre les peuples et les générations pour le bien de tous. L’Ubuntu vise à construire une communauté, à lier les gens dans un réseau de relations réciproques. L’Ubuntu est la capacité dans la culture africaine d’exprimer la compassion, la réciprocité, la dignité, l’harmonie et l’humanité dans l’intérêt de la construction et du maintien de la communauté avec justice et attention mutuelle. Ubuntu parle de notre interconnexion, de notre humanité commune et de la responsabilité mutuelle qui découle de notre lien profondément ressenti. Ubuntu est la conscience de notre désir naturel de reconnaître nos frères humains, de travailler et d’agir les uns envers les autres avec le bien commun au premier plan de nos esprits. Ubuntu signifie l’humanité au sens d’une mise en relation avec sa propre humanité et d’une conscience que cette dernière passe par l’humanité de l’autre[9]. C’est donc un appel à la construction d’une humanité créée collectivement. On peut avoir la preuve de sa signification lorsqu’on étudie les expressions idiomatiques (adverbes et expressions) comme « avec une main on nettoie l’autre », « le chef devient chef avec le peuple », « un homme est un homme par les autres hommes ». Celles-ci argumentent en faveur de l’idée principale de l’ubuntu, qui est que « je suis parce que tu es », ou « je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous ».

Au final, dire que « je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes » change totalement le modèle d’identification et de prise en charge de sa conscience. Ici, ce qui se joue, c’est l’interdépendance des différentes sphères de l’existence et des différents êtres humains. Il y a aussi d’autres proverbes pour le dire : « Pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un village » ou « L’homme ne naît pas ‘je’, il naît ‘nous’ » ou « L’homme, c’est les autres » «  ou « Un seul pied ne trace pas un chemin » ou encore « Si tu n’as pas de compagnon, ton humanité n’est pas complète ».

II. Pourquoi faut-il s’intéresser au concept Ubuntu ?
  1. Parce qu’il favorise la réconciliation et la cohésion sociale:

Ubuntu est au cœur de l’idée de réconciliation. Cette philosophie a été utilisée pour régler les différends et les conflits à différents niveaux sur le continent. La CVR en Afrique du Sud est devenue un phare dans le monde entier pour sa tentative d’apporter la paix et la réconciliation politique dans le pays. Ubuntu autorise la résilience, c’est-à-dire la capacité de faire face aux adversités de la vie, de transformer la douleur en force motrice pour se surpasser, et en sortir fortifié. Ubuntu peut aider au renforcement de la coexistence pacifique entre des personnes d’identités ethniques, raciales, politiques, économiques et culturelles différentes. Ubuntu déploie un système sociopolitique qui implique le dialogue et la possibilité de réconcilier des forces antagonistes en les orientant vers un changement social positif. En Afrique du Sud, il a permis de réaliser ce qu’on a appelé le « miracle de la solution négociée ».

  1. Parce qu’il accorde la primauté à la rationalité relationnelle.

Considérer que l’homme est essentiellement relationnel remet en question la conception individualiste et égocentrique de l’être humain qui prévaut dans nos sociétés. L’efficacité de l’Ubuntu vient donc de la primauté qu’il accorde à la rationalité relationnelle. C’est dans la dépendance et l’interdépendance mutuelle que nous accédons à la plénitude de notre humanité.

  1. Parce qu’il autorise une plus grande connaissance de l’homme

L’éthique africaine de l’Ubuntu peut contribuer de manière très importante à une nouvelle connaissance de l’homme. L’apport principal du concept ubuntu consiste à affirmer qu’en tant qu’êtres humains, nous dépendons d’autrui pour atteindre le bien-être. C’est dans la réalité de notre dépendance et interdépendance mutuelle que nous accédons à la plénitude de notre humanité. Ubuntu lutte contre la toute-puissance du profit dans les relations économiques humaines en soulignant que, pour les sociétés africaines, la solidarité communautaire l’emporte de loin sur la poursuite individuelle d’une richesse accumulée au dépens de la communauté. Dans l’éthique de l’Ubuntu où les gens ont une tendance naturelle à s’occuper les uns des autres, il ne pouvait y avoir de relations économiques basées sur une course au profit de manière compétitive. La prédominance de l’intérêt individuel et de l’appât du gain au cœur de l’éthique capitaliste et individualiste est incompatible avec l’Ubuntu, pour lequel le principe de base des relations économiques humaines réside avant tout dans l’attention aux autres et dans le souci de leur bien-être. Ubuntu proclame un message sur la nature humaine qui offre une alternative aux notions occidentales d’individualisme. La renaissance de l’Afrique nécessite que nous soyons capables de transcender l’individualisme pour former une communauté globale. Dans l’univers ubuntu, aucun d’entre nous ne peut avoir une identité totalement autosuffisante, hermétiquement fermée aux autres. Un moi cartésien, fondé sur sa propre conscience de soi, est pure illusion. Depuis Descartes, la civilisation européenne a eu tendance à favoriser une certaine façon d’envisager l’être humain, comme être solitaire dont l’existence est fondée sur la conscience. Aujourd’hui, on a même transformé, le « Je pense donc je suis » en « J’achète, donc je suis » ! Ubuntu nous suggère d’envisager les choses autrement. Quand on dit, « Je suis, parce que nous sommes », on laisse entendre que l’identité n’est pas une possession solitaire. Au contraire, elle est donnée dans l’appartenance à une communauté.  On devient une personne en s’intégrant à la communauté. Et, développer son individualité en interaction avec les autres n’empêchent pas d’être soi.

  1. Parce qu’il permet la mise en place d’une économie solidaire

Ubuntu peut nous permettre de mettre en place une « économie solidaire » ou une « économie relationnelle », c’est-à-dire une économie où les personnes sont plus importantes que les choses et où les relations interpersonnelles sont plus importantes que l’économie matérielle. Comme vous le savez, la mondialisation dans laquelle nous sommes embarqués privilégie la logique du profit, souvent sans égard pour les besoins fondamentaux. Le système économique mondiale confond « les arbres secs des statistiques avec la forêt vivante du développement » (J. Ki-Zerbo). Autrement dit, au Nord comme au Sud, c’est une portion de la société qui détient les richesses et la masse vit dans la misère.  Du coup, il y a des gens qui crèvent de faim au milieu d’immenses richesses accaparées par une poignée de gloutons. Quand dans un pays, 10% de la population contrôlent 50% des revenus, le rêve de l’Ubuntu devient un cauchemar. Avec Ubuntu, on est au cœur de ce que l’économiste togolais Kako Nubukpo appelle les « trois piliers de la vie africaine », à savoir la réciprocité, la redistribution et l’échange. Ces trois piliers structurent les rapports sociaux en contexte africain et ont du mal à s’allier avec les programmes de développement imposés de l’extérieur. La réciprocité se caractérise par le fait qu’entre deux acteurs A et B en économie, il n’y a pas un intérêt mais un « esprit commun » qui les pousse à échanger. « Je dois accepter d’être en relation avec un autre. Je suppose en lui vendant quelque chose qu’il va me donner l’équivalent, c’est-à-dire la contrepartie de l’échange ». Les relations économiques doivent être des relations d’assistance réciproque. La vision du monde que suggère la notion d’Ubuntu pourrait concourir à produire en Afrique des institutions inclusives et solidaires. L’économie doit produire non seulement des biens, mais aussi des liens sociaux et les liens à leur tour peuvent produire des biens. Il y a interaction entre « liens » et « biens ».

  1. Pour renouveler nos modes de gouvernance

Sur le continent africain, depuis les indépendances, les formes de gestion du pouvoir et de gouvernance instaurées, ici et là, ont créé un large fossé entre le peuple et ses dirigeants, entraînant une intensification des conflits violents au sein du peuple africain. Il s’ensuit que pour que la paix règne sur le continent, l’appel à une renaissance africaine doit inclure la demande de cessation des régimes répressifs, de l’exploitation et de l’exclusion sociale de l’État postcolonial et de ses liens impérialistes.  Il doit mettre en place une politique d’inclusion et de sécurité humaine pour tous. La renaissance africaine doit conduire à la restitution du pouvoir au peuple si l’on veut que la renaissance devienne une réalité.  Sans l’autonomisation des peuples africains grâce à leurs héritages culturels, qui incluent les héritages de la philosophie Ubuntu, la vie politique dans les États africains postcoloniaux aura du mal à apporter une véritable réconciliation et une paix durable aux peuples du continent.

  1. Pour développer de nouvelles relations humaines.

Depuis la philosophie des Lumières, la pensée occidentale a eu tendance à diviser pour mieux régner (humain/nature, masculin/féminin, électeur/élu, médecin/patient…). Cette manière de voir les choses semble aujourd’hui dépassée et nous avons besoin de nouveaux liens, de développer de nouvelles relations à tous les niveaux. Je donne un exemple : La séparation entre le masculin et le féminin est devenu insupportable pour notre monde. Ubuntu veut nous « relier » les uns avec les autres. Je que pense la valorisation de la philosophie Ubuntu nous permet de prendre conscience de ce qu’on appelle « la puissance féminine », de transcender les sexes. Ubuntu laisse entendre que la pensée de beaucoup de peuples africains est fondée sur l’expérience que toutes les choses sont reliées entre elles pour former des paires d’éléments complémentaires. Dans la vie, il y a des contraires, mais ils ne sont pas antagonistes : homme et femme, masculin et féminin, espérance et désespérance, bien-être et mal-être, monde visible et monde invisible, tout cela forme des paires d’éléments qui s’alternent, s’interfèrent, s’opposent, mais dépendent toujours les uns des autres. Chez les Massaï (Tanzanie, Kenya) par exemple, la femme est l’être le plus grand, le plus puissant, le plus précieux. Selon eux, elle incarne la Vie ; elle est la colonne vertébrale de la famille et donc de la société. Elle est la mère de tous les pères, de tous les enfants, de tout le monde. La femme est centrale. C’est aussi elle qui ordonne la tenue de l’importante cérémonie du nom ou encore elle qui allume le premier feu dans une maison. Cette vision Ubuntu de la place de la femme et des rapports entre le féminin et le masculin me semble particulièrement stimulante pour penser la question du vivre-ensemble dans le contexte africain.

  1. Renouveler la démocratie

Il n’y a démocratie que là où des citoyens s’associent pour dépasser leurs oppositions et revendiquer le pouvoir de se gouverner eux-mêmes. C’est important pour l’Afrique d’expérimenter des imaginaires et des formes de pouvoir capables de redonner à l’action politique de la légitimité et de l’efficacité. Ubuntu peut être le socle à partir duquel, on pense une démocratie dans laquelle la politique ne se vit pas comme une profession, mais comme une responsabilité partagée ; et où, pour qu’une décision soit légitime, tous ceux qu’elle concerne doivent pouvoir participer réellement à sa construction. Nous avons besoin de démocraties où la décision est une œuvre collective et non plus le fait d’un petit groupe de leaders ou de savants isolé du nombre. Nos Etats, hérités de la colonisation, sont des fabrications européennes, qui nous ont imposé une conception de la nation qui n’est pas toujours en adéquation avec la sensibilité subsaharienne

III. L’actualité d’un paradigme africain

Ces dernières années, de nombreux intellectuels africains ont évoqué le concept Ubuntu comme une notion fondamentale pour envisager le monde autrement.

Selon Joseph Ki-Zerbo, « … L’humanisme africain (Ubuntu) est un trésor inappréciable qui justifie l’afflux d’étrangers riches ou pauvres, épuisés par la canicule existentielle qui affecte les pays du Nord. C’est peut-être le bien, le service, le don le plus précieux que l’Afrique ait à offrir au monde, un don convertible en capital. ». Ubuntu est un mot qui peut nous nous aider à guérir les maux du monde contemporain, c’est le collectif humain solidaire. Ki-Zerbo pensait même que nous devrions porter au sommet de l’agenda et des luttes sociales planétaires d’aujourd’hui, le concept, la question, la cause, le paradigme d’ubuntu comme un antidote à la mercantilisation de l’homme par le néolibéralisme et la société de marché. Il le concevait comme un « outil performant » pour faire la paix. Pour lui, « Ubuntu peut aider à forger un bloc sans faille contre l’exclusion, l’apartheid et le mépris ».

L’économiste sénégalais Felwine Sarr parle d’Ubuntu comme d’un « code philosophique et éthique » sur lequel Nelson Mandela s’est appuyé pour faire advenir le possible dans l’Afrique du Sud post-apartheid. La philosophe Séverine Kodjo-Grandvaux signale qu’Ubuntu permet la recherche permanente de la conciliation et le refus de la vengeance.

Pour le philosophe Sénégalais Souleymane Bachir Diagne « l’exigence ubuntu est une exigence qui s’adresse à tous » dans la mesure ubuntu signifie « faire humanité ensemble, réaliser notre humanité dans la réciprocité ».  Diagne propose de retrouver le sens de l’ubuntu pour trouver des solutions aux crispations identitaires de notre temps. Il suggère même de s’appuyer sur la notion d’Ubuntu pour renouveler notre réflexion sur l’universel en indiquant que le terme Ubuntu signifie « devenir humain ensemble, l’un avec l’autre et dans la réciprocité ». Pour lui, des « imaginaires nouveaux sont à l’œuvre » dans notre monde et il présente le concept ubuntu comme « un concept de justice transitionnelle » qui a permis à l’Afrique du Sud de résoudre ses problèmes d’après apartheid.

En 2006, le Pasteur Samuel KOBIA, alors secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises a publié un livre sous le titre : « Le courage de l’Espérance. Les racines d’une vision nouvelle pour l’Église et sa vocation en Afrique ». Interrogé par un journal en ligne sur les raisons qui l’ont poussée, voici ce qu’il écrit, entre autres : « Je suis convaincu que l’Ubuntu est la source d’espérance pour l’Afrique parce que c’est affirmer qu’aussi longtemps que nous, Africains, nous faisons confiance les uns aux autres et aussi longtemps qu’il y aura des ressources pour une partie de notre communauté, même ceux qui n’ont pas de ressources matérielles ne seront pas condamnés à mourir de faim. Tout l’Ubuntu est résumé dans le dicton : « Je suis parce que nous sommes, et puisque nous sommes, je suis » ». Et il ajoute : « Et je pense que si nous développons cette idée, si nous l’interprétons et la traduisons dans nos vies et dans nos communautés, nous pourrons accomplir beaucoup plus, et cela créera une Afrique meilleure » (Cf. theologia.fr).

Suite à leur rencontre à Kampala, en juillet 2019, les évêques d’Afrique et de Madagascar ont publié un Document dans lequel ils présentent Ubuntu comme une pratique culturelle traditionnelle africaine porteuse de valeurs (cf. n° 141).

Enfin, dans son encyclique « Fratelli Tutti » le pape François reprend, presque mot pour mot, la signification du mot ubuntu : « Chacun de nous est pleinement une personne lorsqu’il fait partie d’un peuple ; en même temps, il n’y a pas de peuples sans respect de l’individualité de chacun » (n° 182). En fait, ce n’est pas très étonnant, puisque, à la fin de son texte, le Pape indique que dans le cadre de sa réflexion sur la fraternité universelle, il s’est senti stimulé, entre autres, par Desmond Tutu. Le lauréat du prix Nobel de la Paix est donc présent dans l’encyclique du pape. Les idées du Pape François sur la fraternité et l’amitié sociale soulignent l’urgence de l’Ubuntu dans notre contexte actuel, où le tissu de l’humanité est déchiré par divers conflits, des divisions idéologiques.

Dépourvus d’un horizon commun fédérateur, notre peur des autres nous pousse à construire des murs (26-27, 37, 41), affaiblissant ainsi notre appartenance à une famille commune. Pourtant, nous sommes dans le même bateau (35), d’où l’impératif de construire une communauté de solidarité et d’appartenance. « Les montagnes ne se rencontrent pas, mais les gens le font », dit un proverbe swahili. Un des principes fondamentaux de l’Ubuntu, c’est qu’il reconnaît la centralité de la rencontre avec l’autre. Pour le Pape François, la fraternité repose sur une culture de rencontres authentiques dont la condition préalable est l’ouverture créative à l’autre (50). François propose un nouveau chemin vers une culture de la fraternité fondée sur une « rencontre de miséricorde » (83). S’inspirant de la parabole du bon Samaritain, il souligne la responsabilité de l’amour des autres à partir de notre Ubuntu commun. Cet amour construit une fraternité universelle au-delà des considérations de statut, de sexe, d’origine ou de lieu de résidence de ses destinataires (107, 121). Tout cela illustre le fait qu’Ubuntu est cimentée par un amour social inclusif qui transcende les barrières étroites, les intérêts et les préjugés (83). Pour François, la mutualité radicale d’Ubuntu est réalisable grâce à l’amour sans frontières qui transforme l’humanité en une communauté de voisins sans frontières. Comme la philosophie Ubuntu, François plaide pour une prime sociale sur les droits et les devoirs en raison de la relationnalité de l’humanité, dont la manifestation la plus profonde est la capacité à transcender le soi et à créer une solidarité de service des autres (87, 88, 111). Si « je suis parce que nous sommes », alors la vraie fraternité ne laisse personne derrière elle (108) parce que nous sommes sauvés ensemble et que nous sommes responsables de la vie de tous (137). « Si la maison de mon voisin est en feu, je ne peux pas dormir tranquille », dit un autre proverbe africain. Dans l’esprit de l‘Ubuntu, la véritable fraternité évite le « narcissisme local » qui restreint l’esprit et le cœur (146-147). La fraternité authentique crée une famille de nations, fondée sur l’hospitalité et la gratuité (139, 141) ; elle reconnaît les droits de tous les peuples, communautés et groupes dans les sphères privées et sociales (118, 124, 126).

Outre la rencontre, un autre synonyme de l’Ubuntu est le dialogue. Le dialogue favorise l’amitié sociale parce qu’il respecte la différence d’opinions et de points de vue. Le dialogue est ouvert aux autres, reconnaît notre appartenance commune et est animé par la recherche commune de la vérité, du bien commun et du service des pauvres (205, 230). C’est sur lui que repose la possibilité d’une paix fondée sur la vérité (228).

Cette culture du dialogue et de la rencontre transcende les différences et les divisions, mais elle est ouverte à tous et offre de nouvelles possibilités et de nouveaux processus de style de vie, d’organisation sociale et de rencontre (215-217 ; 231). En tant que forme de bonté, l’amitié sociale privilégie l’amour pour les pauvres, les vulnérables et les plus petits (224, 233, 235).

Comme mentionné, Ubuntu donne la priorité au pardon et à la réconciliation, en particulier lorsque des actes répréhensibles ont rompu l’harmonie sociale. Francis est d’accord : L’amitié sociale valorise le pardon et la réconciliation, non pas comme des mécanismes permettant d’oublier ou de tolérer l’injustice et l’oppression, mais comme des moyens de résoudre les conflits par le dialogue (241, 244, 246, 251). Comme le dit Tutu, la poursuite de la justice n’a « aucun avenir sans pardon ». (cf. FT, 250, 252).

IV. Quelques chantiers à explorer
  1. Ubuntu et la question du vivre-ensemble 

Sur le continent africain, il y a une urgence à créer les conditions d’un vivre-ensemble qui permette le développement du continent. Cette urgence s’explique par le fait qu’en Afrique l’Etat postcolonial échoue à penser le problème politique du vivre-ensemble. Or, le vivre-ensemble est le problème politique central dans l’Afrique d’aujourd’hui. Lors des Ateliers de la pensée à Dakar, en 2017, Souleymane Bachir Diagne nous a dit qu’il y a deux urgences qui s’imposent à la pensée africaine contemporaine : la réinvention d’un sens africain du pluralisme religieux et celle du sens africain du pluralisme culturel. En d’autres termes les deux urgences en question sont le dialogue interreligieux et le dialogue interculturel. En déclarant, « je suis parce nous sommes », la philosophie d’Ubuntu reconnaît non seulement la diversité mais surtout la complémentarité de l’humanité. C’est une base solide pour construire une société d’équité, de solidarité, de fraternité et de promotion de l’excellence collective.

  1. Ubuntu pour penser de nouveaux modèles de développement 

Le modèle de développement que l’Europe a imposé à l’Afrique, qu’il soit de type socialiste ou libéral, repose sur l’individualisme. La réalité est que l’Afrique fonctionne sur le modèle communautaire. On comprend pourquoi quelqu’un comme Julius Nyerere a cru bon de susciter un autre modèle fondé sur la communauté qu’il a appelé « Ujaama ». A voir de près, les économistes africains actuels poussent à réinvestir ce modèle communautaire. Le temps est arrivé où la majorité des gens sur la planète ne souhaitent plus être « développés », « modernisés » (à la manière occidentale), mais ils désirent prendre en main leur vie, leur futur et ils ne plus être les marionnettes de programmes de développement conçus pour eux. Concrètement en quoi Ubuntu peut apporter au processus de développement de l’Afrique et à la renaissance du continent ? Je pense qu’on peut s’appuyer sur ce concept pour faire face aux questions liées à la corruption, au détournement, à la trahison, au tribalisme, etc., car, ce qui rend encore plus intéressante cette philosophie de vie africaine qu’est le Ubuntu est que c’est un concept personnel qui pousse celui l’adopte à donner la priorité, non à ses propres intérêts, mais à ceux de la communauté à laquelle il appartient. Il nous pousse à percevoir notre bien être comme étant tributaire de celui de notre communauté. Il nous permet de trouver une autre voie de développement éloigné des modèles habituels.

  1. Ubuntu pour favoriser une éthique politique 

Ubuntu est un concept de la philosophie politique. Il nous dit que pour atteindre le bonheur, rien n’est plus utile à l’homme qu’un autre homme guidé par la raison, donc rien de plus souhaitable que de vivre dans une société démocratique. Sur le continent, nous pouvons réinventer la politique en nous appuyons sur ce concept. L’usage politique contemporain le plus significatif et le plus marquant du concept d’Ubuntu est celui qu’en fit la commission Vérité et Réconciliation (CVR), présidée par Desmond Tutu lui-même. Ubuntu peut aider à fabriquer un monde en partage, un monde solidaire, un monde de l’en-commun. Je pense aussi qu’investir le concept Ubuntu ou des notions équivalentes, peut aider à accéder à des théories politiques différentes de celles de Machiavel (la réduction de la politique à la ruse, au mensonge et à la violence, l’art de la tyrannie) et de Hobbes (la recherche du pouvoir, la guerre de chacun contre chacun).

  1. Ubuntu et la question économique

Ce que nous sommes en droit d’attendre de l’économie, c’est qu’elle contribue à accroître le bien-être du plus grand nombre. C’est sa principale mission. Or, ce que nous constatons, c’est que l’économie actuelle est fondée sur une vision utilitariste   qui produit des inégalités. Une économie fondée sur la catégorie africaine de l’Ubuntu peut aider à repenser les fins de l’économie et à mettre en route des formes d’économies fondées sur ce que certains appellent « l’économie relationnelle » (Cf. Afrotopia). Le concept Ubuntu, comme d’autres concepts africains, peut être déterminants dans le cadre d’une réflexion sur des conceptions alternatives de l’économie. Tout ne s’achète pas, tout ne se vend pas… il y a une part qui échappe à l’économie. L’Ubuntu peut se concevoir comme un instrument propice au progrès social, même s’il faut encore l’analyser en profondeur, pour en déterminer les éléments opératoires. Par ailleurs, comme ses fondements relèvent de la notion universelle de partage, ainsi que des concepts de solidarité, d’échange social, de don et de contre-don, l‘Ubuntu a déjà fait la preuve qu’il s’exportait très bien en dehors de son contexte africain. C’est pourquoi, il intéresse beaucoup de gens aujourd’hui, à travers le monde.

  1. Pour une théologie Ubuntu 

Aujourd’hui même il se tient au Centre d’Etudes des Religions africains de l’université catholique du Congo, une conférence débat sur le thème de l’Ubuntu avec une intervention d’une théologienne nommée Léocadie LUSUOMBO sur « l’anthropologie Ubuntu : défis théopolitiques de proverbes marginalisant la femme » et un autre thème sur « Les implications pastorales de l’anthropologie Ubuntu ». En fait, en 2009, un des meilleurs spécialistes du concept Ubuntu, Michael Battle, a écrit un livre intitulé : Réconciliation : la théologie Ubuntu de Desmond Tutu. Ce livre explore en profondeur la théologie Ubuntu de la réconciliation. En considérant l’homme comme faisant partie d’un tout, d’une communauté, du monde, nous pouvons changer notre regard et valoriser réellement l’importance de la réconciliation. Ce livre est précieux pour tous ceux qui ont à cœur la réconciliation et qui se sentent appelés à une vocation d’artisans de la paix. Ubuntu est vu comme un paradigme chrétien qui permet de résister à l’oppression où qu’elle apparaisse. Chez Tutu, la théologie ubuntu, appelle à une identité partagée qui entraîne des responsabilités morales. Si quelqu’un dans le monde a faim, selon cette idée, nous sommes tous responsables.

Conclusion

C’est Joseph Ki-Zerbo qui le disant : Ubuntu n’est pas un cadeau du père Noël ni un paradis octroyé. C’est l’objet d’une conquête.  Pour nous autres africains, il est important « de forger de nouvelles synthèses, de nouvelles cohésions et compatibilités : entre l’extérieur et l’intérieur, entre le particulier et l’universel. L’universel ne saurait être l’imposition du particulier de certains, ni la somme arithmétique de tous les particuliers, mais le mariage fécond de ce qu’il y a de meilleur, de plus succulent dans tous les particuliers qui réalisent ainsi l’unité de l’humain par le haut, par le sommet de la pyramide ubuntu » (JK-Zerbo). Ubuntu réalise les choses par le haut, par le sommet…prendre en compte le concept ubuntu, c’est renforcer les capacités de la culture africaine à créer. Ubuntu, c’est le « sapeur-pompier » avant le pyromane » ( JKZ).

Je crois que nous pouvons nous inspirer de cette « forme d’humanité mutuelle » qui peut ouvrir l’avenir à des projets politiques communs. Ubuntu est une notion pratique et je pense qu’aux côtés des grandes architectures politiques, administratives et juridiques connues dans notre monde, il est important de reconnaître l’importance de ce que Ubuntu suggère comme pratique pour ouvrir de nouvelles voies pour l’Afrique et pour le monde. Ce qui s’est passé en Afrique du Sud indique que seule la dignité retrouvée de chacun peut accorder à tous un minimum nécessaire à la vie, un minimum d’Ubuntu sans quoi rien de commun, rien d’humain n’est possible. Ubuntu est le paradigme africain des possibles. Il permet de tenir de manière successivement convergentes, trois exigences :

Une exigence épistémologique qui enseigne, pour l’Afrique, la nécessité de se réapproprier son histoire et sa vision du développement sans se limiter aux référentiels philosophiques, sociaux et politiques occidentaux. De fait, le contact violent de l’Afrique avec l’Occident a provoqué une rupture dans les modes d’être, de penser et de vivre des Africains. Des catégories, des concepts, des schèmes de pensée, une manière de vivre et de comprendre le monde et l’univers, ont été imposés aux Africains. Aujourd’hui, il y a une nécessité de travailler à la promotion et à la valorisation des systèmes de pensées africains, des paradigmes, des symboles et des imaginaires africains. Il semble qu’il nous faut « des mots nouveaux pour exprimer ce que nous sommes à présent, ce que nous voulons être » (Léonora Miano, Afropea, p. 44).  S’intéresser au concept Ubuntu, c’est s’inscrire dans cette quête des paradigmes qui militent en faveur de la renaissance africaine, parce que ceux-ci ( les paradigmes) correspondent à l’évolution des sociétés africaines, et parce qu’ils sont capables de renforcer l’autonomie et la souveraineté des sociétés africaines, dans un contexte marqué par le néolibéralisme et le capitalisme.

Une exigence politique : 60 années d’indépendance n’ont réussi à faire de l’Afrique un continent où il fait bon vivre. Nous sommes donc toujours en quête d’une philosophie politique à même de nous aider à construire des sociétés plus justes et plus conviviales, parce que fondées sur une éthique du bien-être et du mieux-être. L’Ubuntu est une philosophie de vie, une philosophie politique. En tant que telle, elle s’apparente à la social-démocratie moderne. Ce paradigme milite en faveur d’un contrat social sur la base de la reconnaissance mutuelle qui indique que le moteur de l’histoire n’est pas seulement dans l’affrontement et la compétition, mais dans la collaboration et la coopération.

Une exigence du « vivre-ensemble » : Le projet de la renaissance africaine est en lien avec la nécessité de créer les conditions d’un vivre-ensemble qui permette le développement du continent. Le vivre-ensemble est constitutif des aspirations des plus fortes qui habitent les peuples africains dans leur diversité. En Afrique du Sud, le « vivre-ensemble » est rendu par le paradigme Ubuntu. Issu des langues bantoues, Ubuntu désigne une notion proche des concepts d’humanité et de fraternité. Il signifie « Je suis parce que nous sommes » et indique que l’accomplissement de notre personne comme être humain n’a lieu que dans la compagnie d’autres « soi-même ». Il est ce qu’il y a de mieux pour exprimer, dans la philosophie africaine, le désir du vivre-ensemble.

Nous voilà donc, en face d’un paradigme africain. Pour une fois, ce n’est pas une théorie ou une doctrine venue de l’Occident. C’est un principe essentiel de peuples africains, qui recouvre un ensemble de valeurs traditionnelles à haute teneur philosophique. Ce mot a acquis une importance politique considérable dans l’Afrique du Sud des années 1990, avec Desmond Tutu et Nelson Mandela. Parce qu’il favorise la conciliation plutôt que l’hostilité et l’intransigeance, l’Ubuntu a permis à la Commission Vérité et Réconciliation d’Afrique du Sud, de faire émerger ce que certains ont appelé « le miracle de la solution négociée ».

 

J-P. Sagadou

E-mail : sagadoujeanpaul@gmail.com

 

 

 

 


1 janvier 2022
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DESMOND  TUTU ET L’UBUNTU : un homme et une pensée au service de la jeunesse africaine.

Alors qu’il est enterré ce 1er janvier 2022 au Cap, en Afrique du Sud, je propose ici, à la jeunesse africaine de découvrir l’une des plus grandes « voix » de l’Afrique et en même le prêtre anglican qui a le mieux travailler à mettre en œuvre la philosophie de l’ubuntu. Il me faut d’abord donner une idée du contexte politique de l’Afrique du Sud, ensuite, je livrerai quelques éléments sur la figure de Desmond Tutu, avant de dire ce que signifiait pour lui et son compatriote Nelson Mandela, la notion d’ubuntu. Tout cela devra me permettre de dire l’actualité du concept ubuntu et ce qu’il constitue comme interpellation et appel pour la jeunesse africaine.

I. L’Afrique du Sud : le contexte politique

L’Afrique du sud, le pays de Desmond Tutu, est un pays d’Afrique noire qui a été, pendant longtemps, rassasié de souffrances.  C’est le seul pays au monde où le racisme a été inscrit dans la Constitution. Un mot, presqu’intraduisible, a été au cœur de la vie de ce peuple d’Afrique. Le mot « apartheid ». Il signifie une « séparation », « une mise à part ». Pendant plus de trente ans, l’Afrique du Sud aura marché sur la route de la ségrégation raciale intégrale, absolue. L’apartheid a été un dogme dont l’infaillibilité n’a pas été mise en cause par les blancs zélateurs qui l’ont promu et entretenu. Là-bas, en Afrique du Sud, la pratique raciste a servi l’exploitation capitaliste et la dégradation humaine. A partir des années 1960, malgré la répression farouche des blancs, des hommes noirs créent des mouvements de résistance. Ils ont des noms : Nelson Mandela, Allan Boesak, mais aussi une figure assez exceptionnelle : Desmond Tutu. Prix Nobel de la Paix , il est la porte par laquelle, nous allons essayer de nous faire une idée du concept, à la fois philosophique, éthique et théologique de l’ ubuntu.

II. Qui est Desmond Tutu ?

Il est né le 7 octobre 1931 dans une cité dortoir située à 180 kilomètres de Johannesburg. Après avoir été enseignant, il s’engage dans des études de théologie, pour devenir par la suite, le premier archevêque anglican noir du Cap et de Johannesburg. Il se met au service d’une théologie qui prend au sérieux le contexte africain et travaille pour la promotion d’une théologie noire, après avoir emprunté cette expression à un théologien noir américain du nom de James CONE, auteur d’un magnifique livre, intitulé « Dieu est noir ». L’objectif de cette théologie est de rejeter l’interprétation déformée du message chrétien imposée au peuple noir par les Eglises dominées par les Blancs. A la fin des années 70, Desmond Tutu devient l’une des grandes voix chrétiennes qui s’élèvent contre l’apartheid. Ce qu’il veut, c’est un changement radical mais « aussi pacifique que possible ». Il appelle à la désobéissance à l’égard des lois iniques et voit dans l’apartheid un système totalement injuste, immoral et pervers. En 1979, il écrit un texte intitulé : « L’Afrique du sud dont je rêve » où il affirme : « D’après la Bible, un être humain ne peut être pleinement humain que s’il appartient à une communauté. Une personne est une personne à travers d’autres personnes, comme nous disons dans notre parler africain. Par conséquent, séparer des personnes en fonction d’accidents biologiques est condamnable et blasphématoire. Chaque personne a droit à l’enracinement dans une vie communautaire, et la première communauté, c’est la famille ». Plus loin, dans le même texte, il ajoute : « J’insiste beaucoup sur l’humanité, sur la possibilité d’être vraiment humain. Dans notre culture africaine, le don précieux du partage fait partie de l’Ubuntu, de l’être-homme ». Le mot est donc lâché, celui de l’ubuntu. Que signifie-t-il ?

III. Desmond Tutu et l’ubuntu.

Le 11 février 1990, Nelson Mandela est libéré après 27 ans d’emprisonnement sous le régime de l’apartheid. En 1994, il est élu président de la république d’Afrique du Sud. Dès lors son souci est : imposer par la force de ses actes et de ses mots un respect unanime et une idée de la politique d’une noblesse rare. Pour diriger un pays dans lequel des crimes ignobles ont été commis contre la majorité noire, il n’opte pas pour la vengeance, mais pour la RECONCILIATION. Il cherche une théorie, une méthode et des moyens pour dépasser la barbarie sociale. Il faut soigner la société et la refonder à partir d’un chaos semé par des années de ségrégation. Pour cela, il ne se tourne pas vers la philosophie occidentale. Il va puiser dans les ressources culturelles africaines qui ont nourri sa prime enfance. Il se replonge dans l’expérience des pratiques sociales sans domination, de sa tribu. S’inspirant alors de la pensée ubuntu, il soutient la réconciliation et la négociation, et crée la Commission Vérité et Réconciliation en 1995 et Desmond Tutu en devient le Président. Tous les deux, Mandela et Tutu vont s’appuyer sur cette notion d’ubuntu pour dessiner un idéal de société opposé à la ségrégation afin de promouvoir la réconciliation nationale.

IV. Approches multiples et unifiées de la notion d’ubuntu
 1) Un mot des peuples Bantous

Pouvant être traduit par « je suis parce que nous sommes », ubuntu appréhende l’individu dans sa relation avec les autres. Le vocable « ubuntu » appartient au groupe ethnique des Bantous (ensemble de peuples africains parlant plus de 400 langues apparentées ; – Lingala, swahili, Kikongo, zulu, etc..). Le mot ubuntu est connu dans des textes écrits depuis les années 1846. Il semble que la première trace écrite que l’on trouve du terme ubuntu date de 1846, sous la plume du missionnaire britannique Henry Hare Dugmore.

2) La définition de Desmond Tutu

« Dans notre langue africaine, écrit Desmond Tutu, nous disons : ‘une personne n’est une personne que par d’autres personnes’. Aucun d’entre nous ne vient en ce monde pleinement formé. Nous ne saurions ni penser, ni marcher, ni parler, ni nous conduire comme des êtres humains si nous ne l’apprenions d’autres êtres humains ». ou encore « Quelqu’un d’ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi — qui vient de la connaissance qu’il ou elle a d’appartenir à quelque chose de plus grand — et qu’il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou opprimés. »

3) Ubuntu est plus que le nom d’un logiciel informatique.

Le concept ubuntu est un concept polysémique. Le mot ubuntu désigne un idéal de société opposé à la ségrégation, il se présente comme un instrument capable de promouvoir la réconciliation nationale. Ubuntu renvoie à une éthique communautaire de l’existence humaine. La dimension relationnelle est un des éléments majeurs de cette philosophie. Pour l’Afrique, la communauté est un véritable tissage social où s’entremêlent les relations humaines, et c’est ce qui soutient la vie de tout un chacun dans la communauté. Replacé dans le contexte de la philosophie politique, ubuntu pourrait traduire l’expression de la social-démocratie à l’africaine, mettant en avant les valeurs de la justice, de l’égalité, de la solidarité, de la liberté, du dialogue, du partage, de l’intérêt collectif, etc. C’est donc un projet politique qui promeut la réconciliation nationale.

4) Ubuntu : un appel à l’unité et à la solidarité

Ubuntu dit que le progrès, l’amélioration, l’évolution, le développement ne peuvent être l’œuvre d’une personne, qu’il faut plutôt s’associer, il faut se mettre à plusieurs. C’est donc un appel à l’unité, à l’amour, à la dignité, à l’harmonie. Ubuntu enseigne que le moteur de l’histoire n’est pas forcément dans l’affrontement et dans la compétition, mais dans la collaboration et la coopération. Il considère que le fait de s’associer pour faire une chose est une forme plus évoluée pour l’être humain que l’éclatement et l’isolement. Ubuntu enseigne qu’on ne peut pas être heureux tout seul.

5) Une métaphore pour le dire

C’est l’histoire de l’anthropologue américain et les enfants africains : « Un anthropologue a proposé un jeu à des enfants d’une tribu d’Afrique australe. Il a posé un panier plein de fruits sucrés près d’un arbre et a dit aux enfants que le premier arrivé remportait le panier. Quand il leur a dit de courir, ils se sont tous pris par la main et ont couru ensemble, puis se sont assis ensemble profitant de leurs friandises. Quand il leur a demandé pourquoi ils n’avaient pas fait la course, ils ont répondu : “ UBUNTU, comment peut-on être heureux si tous les autres sont tristes ?”“ UBUNTU ” dans la culture Xhosa signifie : “ Je suis parce que nous sommes ”. » Ubuntu est contre la concurrence exacerbée où les faibles et les pauvres sont écrasés. Dans la perspective de l’ubuntu, connaître le succès n’est pas un grand bien, si on y parvient aux dépens des autres et en étant agressivement compétitif. En fait, « nous ne nous développons pas sans qu’il y ait compétition, mais une compétition qui n’admet pas l’autre et n’a pas besoin de l’autre est barbare et destructrice » (Cf. Rowan Williams, cité par Timothy Radcliffe, pourquoi donc être chrétien, p. 197)

6) Ubuntu : Une éthique de vie

L’Ubuntu est d’abord une éthique de vie. Une manière d’être. Les valeurs de l’ubuntu sont nombreuses : la justice, l’égalité, l’intégrité, la solidarité, la liberté, le partage, l’intérêt collectif, etc. La philosophie d’ubuntu reconnaît non seulement la diversité mais surtout la complémentarité de l’humanité. C’est une base solide pour construire une société d’équité, de solidarité, de fraternité et de promotion de l’excellence collective.

7) Ubuntu : une philosophie, c’est-à-dire une sagesse

L’ubuntu est une philosophie humaniste africaine proche des notions de solidarité humaine et de dépendance mutuelle. Si le talent et la valeur de chaque individu sont reconnus, ils doivent servir l’intérêt commun. L’objectif cardinal d’ubuntu est d’établir des relations harmonieuses entre les peuples et les générations pour le bien de tous. L’ubuntu vise à construire une communauté, à lier les gens dans un réseau de relations réciproques.

8) Ubuntu ou le cogito africain

Là où le cogito cartésien fait dire « je pense, donc je suis », le cogito africain dira « je suis, parce que nous sommes ». Ce cogito africain est un cogito social qui invite, en toutes circonstances, à privilégier l’intérêt commun et non celui de sa seule individualité, mais aussi à chercher toujours à s’identifier aux autres, y compris à leurs sentiments hostiles, pour régler sa propre vie. Ubuntu parle de notre interconnexion, de notre humanité commune et de la responsabilité mutuelle qui découle de notre lien profondément ressenti. Ubuntu est la conscience de notre désir naturel de reconnaître nos frères humains, de travailler et d’agir les uns envers les autres avec le bien commun au premier plan de nos esprits.

V. Actualité et intérêt du concept ubuntu
 1) Ubuntu favorise la réconciliation et la cohésion sociale

Ubuntu est au cœur de l’idée de réconciliation. Ubuntu autorise la résilience, c’est-à-dire, la capacité de faire face aux adversités de la vie, de transformer la douleur en force motrice pour se surpasser, et en sortir fortifié. Ubuntu peut aider au renforcement de la coexistence pacifique entre des personnes d’identités ethniques, raciales, politiques, économiques et culturelles différentes. Ubuntu déploie un système sociopolitique qui implique le dialogue et la possibilité de réconcilier des forces antagonistes en les orientant vers un changement social positif.

2) Ubuntu accorde la primauté à la rationalité relationnelle

Considérer que l’homme est essentiellement relationnel remet en question la conception individualiste et égocentrique de l’être humain qui prévaut dans nos sociétés. L’efficacité de l’ubuntu vient donc de la primauté qu’il accorde à la rationalité relationnelle. C’est dans la dépendance et l’interdépendance mutuelle que nous accédons à la plénitude de notre humanité.

3) Ubuntu autorise une plus grande connaissance de l’homme

L’éthique africaine de l’ubuntu peut contribuer de manière très pertinente à une nouvelle connaissance de l’homme. L’apport principal du concept ubuntu consiste à affirmer qu’en tant qu’êtres humains, nous dépendons d’autrui pour atteindre le bien-être. Ubuntu lutte contre la toute-puissance du profit dans les relations économiques humaines en soulignant que, pour les sociétés africaines, la solidarité communautaire l’emporte de loin sur la poursuite individuelle d’une richesse accumulée au dépens de la communauté.  Depuis Descartes, la civilisation européenne a eu tendance à favoriser une certaine façon d’envisager l’être humain, comme être solitaire dont l’existence est fondée sur la conscience. Aujourd’hui, on a même transformé, le « Je pense, donc je suis » en « J’achète, donc je suis » ! Ubuntu nous suggère d’autres perspectives. Quand on dit, « Je suis, parce que nous sommes », on laisse entendre que l’identité n’est pas une possession solitaire. Au contraire, elle est donnée dans l’appartenance à une communauté.  On devient une personne en s’intégrant à la communauté. Et, développer son individualité en interaction avec les autres n’empêche pas d’être soi.

4) Ubuntu permet la mise en place d’une économie solidaire

Ubuntu peut nous permettre de mettre en place une « économie solidaire » ou une « économie relationnelle », c’est-à-dire une économie où les personnes sont plus importantes que les choses et où les relations interpersonnelles sont plus importantes que l’économie matérielle. Avec ubuntu, on est au cœur de ce que l’économiste togolais Kako Nubukpo appelle les « trois piliers de la vie africaine », à savoir la réciprocité, la redistribution et l’échange. Ces trois piliers structurent les rapports sociaux en contexte africain et ont du mal à s’allier avec les programmes de développement imposés de l’extérieur. La vision du monde que suggère la notion d’ubuntu pourrait concourir à produire en Afrique des institutions inclusives et solidaires. L’économie doit produire, non seulement des biens, mais aussi des liens sociaux et les liens à leur tour peuvent produire des biens. Il y a interaction entre « liens » et « biens ».

5) Ubuntu permet de renouveler nos modes de gouvernance

Sur le continent africain, depuis les indépendances, les formes de gestion du pouvoir et de la gouvernance instaurées, ici et là, ont créé un large fossé entre le peuple et ses dirigeants, entraînant une intensification des conflits violents au sein du peuple africain. Sans l’autonomisation des peuples africains grâce à leurs héritages culturels, qui incluent les héritages de la philosophie ubuntu, la vie politique, dans les États africains postcoloniaux, aura du mal à apporter une véritable réconciliation et une paix durable aux peuples du continent.

6) Ubuntu permet de développer de nouvelles relations humaines

Depuis la philosophie des Lumières, la pensée occidentale a eu tendance à diviser pour mieux régner (humain/nature, masculin/féminin, électeur/élu, médecin/patient…). Cette manière de voir les choses semble aujourd’hui dépassée et nous avons besoin de nouveaux liens, de développer de nouvelles relations à tous les niveaux. Un exemple : La séparation entre le masculin et le féminin est devenu insupportable pour notre monde. Ubuntu veut nous « relier » les uns avec les autres. La vision ubuntu de la place de la femme et des rapports entre le féminin et le masculin est particulièrement stimulante pour penser la question du vivre-ensemble dans le contexte africain.

7) Ubuntu permet de renouveler notre sens de la démocratie

Il n’y a démocratie que là où des citoyens s’associent pour dépasser leurs oppositions et revendiquer le pouvoir de se gouverner eux-mêmes. C’est important pour l’Afrique d’expérimenter des imaginaires et des formes de pouvoir capables de redonner à l’action politique de la légitimité et de l’efficacité. Ubuntu peut être le socle à partir duquel, on pense une démocratie dans laquelle la politique ne se vit pas comme une profession, mais comme une responsabilité partagée.

VII. Les appels lancés à la jeunesse africaine

Nous sommes dans un monde où nous avons besoin de grandir en humanité ensemble, de valoriser le vivre-ensemble, de mettre en place des économies collaboratives, solidaires, relationnelles. Dans ce sens, la notion d’ubuntu nous engage dans des actions concrètes.

1) L’importance de l’interdépendance dans notre vie

Il s’agit de cultiver le sentiment d’une forte appartenance à un groupe, à une communauté. On n’existe pas seul, on ne fait pas son bonheur seul. Dans une entreprise ou une communauté, ce qui importe, c’est la dynamique collective, pas la solitude. Il faut une implication collective et un engagement collectif au service du groupe, de la communauté. L’apport principal du concept ubuntu consiste à affirmer qu’en tant qu’êtres humains, nous dépendons d’autrui pour atteindre le bien-être. C’est dans la réalité de notre dépendance et interdépendance mutuelle que nous accédons à la plénitude de notre humanité.

2) La dignité de l’autre appelle sa considération

Qui dit ubuntu, dit empathie, reconnaissance, bienveillance. Il s’agit d’accorder de la valeur aux autres pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Cela dit, comme disait Nelson Mandela, être ubuntu ne signifie pas être complaisant et laisser faire mal un travail. L’enjeu est de ne jamais rabaisser les autres. Dans l’esprit d’ubuntu, celui qui abaisse les autres, c’est que lui-même est bas. L’ubuntu est la capacité, dans la culture africaine, d’exprimer la compassion, la réciprocité, la dignité, l’harmonie et l’humanité, dans l’intérêt de la construction et du maintien de la communauté, avec justice et attention mutuelle.

3) L’entraide

En absolu, personne ne peut réussir seul. Même le travail intellectuel est une œuvre humaine, une œuvre de compagnonnage. Ce qui est en jeu ici, c’est la solidarité du collectif. Ubuntu invite à se soutenir les uns les autres et dans les situations conflictuelles, il autorise la résilience.

4) La convivialité, le vivre-ensemble

Le rire et l’humour dans le respect de l’autre favorisent la création de liens solides et ouvrent des portes au bonheur. Un proverbe africain dit que  : « le rire d’un enfant éclaire toute une maison »

5) Célébrer la diversité comme une richesse

Les différences nationales, ethniques, religieuses, idéologiques et politiques ne doivent pas être un frein au vivre-ensemble. Ubuntu appelle à construire un monde de l’en-commun.

6) Renouveler la culture d’entreprise

Dans beaucoup d’endroits, dans le monde de l’entreprise, sans doute aussi à cause de la pandémie de la Covid-19, il y a des débats sur la nécessité de la refondation des modèles et des pratiques de culture d’entreprise dans le monde et en Afrique. Il semble que la crise a clairement montré les limites d’une vision managériale sous l’emprise de l’efficacité productive, de la rentabilité financière et de l’optimisation de la valeur actionnariale. L’ubuntu africain pourrait être mobilisé comme une valeur refondatrice de la culture d’entreprise, var il traduit le fait que l’identité individuelle ou organisationnelle (au sens de la culture d’entreprise) se construit fondamentalement dans la relation de soi à l’autre.

7) Sur le plan épistémologique

Pour l’Afrique, il y a la nécessité de se réapproprier son histoire et sa vision du développement, sans se limiter aux référentiels philosophiques, sociaux et politiques occidentaux. De fait, le contact violent de l’Afrique avec l’Occident a provoqué une rupture dans les modes d’être, de penser et de vivre des Africains. Des catégories, des concepts, des schèmes de pensée, une manière de vivre et de comprendre le monde et l’univers, ont été imposés aux Africains. Aujourd’hui, il y a une nécessité de travailler à la promotion et à la valorisation des systèmes de pensées africains, des paradigmes, des symboles et des imaginaires africains. Il semble qu’il nous faut « des mots nouveaux pour exprimer ce que nous sommes à présent, ce que nous voulons être » (Léonora Miano, Afropea, p. 44).  S’intéresser au concept ubuntu, c’est s’inscrire dans cette quête des paradigmes qui militent en faveur de la renaissance africaine, parce que ceux-ci (les paradigmes) correspondent à l’évolution des sociétés africaines, et parce qu’ils sont capables de renforcer l’autonomie et la souveraineté des sociétés africaines, dans un contexte marqué par le néolibéralisme et le capitalisme.

8) Sur le plan politique

60 années d’indépendance n’ont pas réussi à faire de l’Afrique un continent où il fait bon vivre. Nous sommes donc toujours en quête d’une philosophie politique à même de nous aider à construire des sociétés plus justes et plus conviviales. Parce que fondé sur une éthique du bien-être et du mieux-être, l’ubuntu est une philosophie de vie, une philosophie politique. En tant que telle, elle s’apparente à la social-démocratie moderne. Ce paradigme milite en faveur d’un contrat social sur la base de la reconnaissance mutuelle qui indique que le moteur de l’histoire n’est pas seulement dans l’affrontement et la compétition, mais dans la collaboration et la coopération, comme nous l’avons déjà fortement souligné.

Conclusion

Desmond Tutu est sans doute, avec Nelson Mandela, le principal promoteur de l’ubuntu, une philosophie humaniste africaine basée sur une culture de partage, de l’ouverture, de la dépendance mutuelle, du dialogue et de la rencontre interpersonnelle. Dans l’ubuntu, l’existence humaine s’épanouit en tant que partie d’un tout, la société prospère grâce à une humanité commune, et le pardon et la réconciliation sont des conditions préalables pour préserver l’harmonie sociale.

 

Jean-Paul SAGADOU

Initiateur des Voyages d’intégration africaine (V.I.A) et des Ateliers Ubuntu (A.T.U)

Sagadoujeanpaul@gmail.com


6 septembre 2021
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Un atelier pour repenser les activités du R.J.I.A dans le contexte de la Covid-19

Reprendre, concevoir, assumer….

Pour ceux qui ont lu les « Damnés de la terre », peut-être, vous rappelez-vous de ces mots très forts où Frantz Fanon affirme que « seul l’engagement massif des hommes et des femmes dans des tâches éclairées et fécondes » donne contenu et densité à la conscience politique… !!!! Cet engagement massif, je le sens, depuis 10 ans, chez les jeunes qui animent le Réseau de Jeunes pour l’intégration africaine (RJIA) et qui participent depuis 12 ans aux Voyages d’intégration Africaine (V.I.A).


Ce week-end des 3, 4 et 5 septembre 2021, quelques leaders, parmi ces jeunes, se sont réunis à Ziniare, à quelques kilomètres de Ouagadougou, au Burkina Faso, pour penser leurs activités, dans le cadre du contexte de la pandémie du coronavirus. Conscients qu’à l’école des crises le génie humain peut inventer et créer du nouveau, ils se sont interrogés sur les modèles proposés à la jeunesse africaine et à celle de la diaspora par le RJIA à travers les V.I.A, les J.I.A (journées d’intégration africaine), les ATIA (Ateliers d’intégration africaine) et les ATU (Ateliers Ubuntu), etc…. Connectés depuis Lomé, Dakar, Abidjan, Bamako, Niamey, Paris et Toulouse, leurs camarades des autres pays et de la diaspora, se sont joints à eux pour penser de nouvelles méthodes de travail, plus opérationnelles et plus innovantes.


Dans ce cadre de « construction collective d’un destin » commun, ils ont été accompagnés, depuis la Guyane, par le philosophe Lazare Ki-Zerbo (pour les questions d’intégration africaine), depuis Paris, par l’historien Amzat Boukari-Yabara (pour les questions de panafricanisme), depuis Québec, par la Caribéenne Mélina Seymour (pour la question de financement des programmes V.I.A entre jeunes africains et ceux de la diaspora) et depuis Ouaga, par Jean-Paul Sagadou ( pour les questions interreligieuses et interculturelles).

L’atelier de Ziniare aura été un grand succès grâce aussi à deux marraines du RJIA (Tata Odette et Tata Sera, comme les jeunes les appellent, affectueusement). Le partage d’expériences avec la Jeune Chambre Internationale (JCI) a donné à voir des pistes en terme de collaboration dans un esprit Ubuntu (Ubuntu qui est plus qu’un logiciel informatique, comme nous l’aurons enseigné à quelques-uns de nos amis de la JCI). La soirée intergénérationnelle vécue avec le couple Justine et Bernard Nabare (Mr. Bernard Nabare est diplomate à la retraite), a permis aux jeunes de réentendre de la bouche de Mr. Nabare que « l’intégration africaine est la condition sine qua non du développement ».
Je me joins à tous les jeunes pour dire notre reconnaissance à tous et à toutes !!! « Si la construction d’un pont ne doit pas enrichir la conscience de ceux qui y travaillent, que le pont ne soit pas construit » disait encore Fanon…. A coup sûr, ces trois jours d’atelier à Ziniare auront contribué à éclairer et à enrichir notre conscience à tous pour que, de nos muscles et de nos cerveaux, nous puissions produire des idées lumineuses pour les actions futures.


Oui, pour la jeunesse africaine et pour l’Afrique, tout est encore possible ! L’avenir n’est pas fermé ! Il est ouvert, avec de multiples possibles, pourvu que « le pont dans ses détails et dans son ensemble soit repris, conçu et assumé » (Fanon) par les jeunes ! Le RJIA et les V.I.A sont des ponts que les jeunes doivent reprendre, concevoir et assumer ! Ubuntu !!!!

Jean-Paul Sagadou
06/09/21

 


20 mai 2020
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[Réactiver le rêve africain] : L’unité de l’Afrique : un rêve possible.

 Jean-Paul Sagadou est l’initiateur des Voyages d’Intégration Africaine (V.I.A). Depuis une dizaine d’années, il travaille à donner à la jeunesse africaine la possibilité de participer à la construction d’une Afrique nouvelle par des rencontres interculturelles et interreligieuses d’intégration africaine. Dans cette chronique, il est en quête les leçons du covid-19 pour la jeunesse africaine.

 

Dans son livre Pour une Afrique libre[1], l’écrivain Kenya Ngugi Wa Thiong’o, écrit que « notre monde actuel doit beaucoup à ceux qui ont rêvé ». L’unité de l’Afrique n’est pas un rêve impossible. Au contraire, les « rêves ont toujours dressé un tableau du possible idéal. Dans notre imagination, nous dessinons les lignes d’un avenir, puis nous tentons de le réaliser »[2]. Il semble qu’à l’époque où quelques humains ont commencé à concevoir l’idée de voler, ils ont été qualifiés de rêveurs, pas de réalistes. Mais ils ont continué à rêver et à essayer. De même, il semble qu’au moment de l’esclavage, dans les plantations, ceux qui parlaient de liberté étaient considérés comme des rêveurs. Mais ils n’ont pas cessé de rêver et d’essayer de réaliser leur rêve. Il en va de même pour les rêveurs de la résistance anticoloniale, qui ont continué à imaginer la victoire et à œuvrer dans sa direction. Il n’est pas vain de rêver que « le temps viendra où nos fraternités se donneront une appellation pacifiée, affranchie du regard des oppresseurs »[3].

Sur cette question de l’unité africaine, l’écrivaine Léonora Miano, écrit : « J’ai ce rêve depuis toujours d’une Afrique unifiée »[4]. Pour elle, « l’unité de l’Afrique est un rêve qu’ont les Africains et certains Afrodescendants depuis longtemps »[5]. Ce rêve l’a toujours habité et tout récemment elle a partagé ce rêve dans un roman intitulé Rouge impératrice. Rouge impératrice  est un roman d’anticipation où Léonora Miano prend sur elle la belle idée de créer des personnages qui incarnent des idéaux dans une Afrique souveraine. Le roman est nourri de légendes africaines, de mots africains où se laisse envisager une Afrique en train de s’inventer elle-même. Rouge impératrice, « c’est le rêve que nous faisons avant de commencer à penser notre avenir. Puisqu’on parle beaucoup, notamment au sein de la jeunesse africaine, de panafricanisme, le roman fournit un peu matière à réflexion : à quoi pourrait ressembler un avenir plus glorieux ? Est-ce que le panafricanisme est faisable ? En racontant une histoire et en plaçant des personnages en situation, on arrive à voir comment on peut procéder. C’est un roman qui fait du bien, tout en bousculant »[6].

Léonora Miano rêve d’un continent africain unifié sous le nom « décolonial » de Katiopa.  L’intelligence et le cœur sont dilatés à la lecture de ce qu’elle écrit : « Les peuples caressaient secrètement le rêve de l’unité qu’avaient porté leurs aïeux, mais beaucoup s’étaient résolus à ce qu’il ne soit jamais réalisé. Ceux qui les avaient précédés ne leur avaient laissés que des noms, des figures de grands défunts à vénérer. Ils ne leur avaient pas enseigné ce que Ntambawe et les membres de l’Alliance leur apprendraient : que la mémoire ne servait à rien si l’on ne savait en faire un socle pour bâtir le futur, que la souveraineté ne serait d’aucune utilité si elle ne prenait pas appui sur la puissance »[7]. Le Katiopa doit travailler « à son élévation, à son épanouissement. Ne plus laisser les autres apporter des solutions toutes faites à des problèmes qu’il n’avait même pas eu le temps de se poser »[8]. Pour Leonora Miano, « Les solutions fédéralistes sont les plus positives, parce que ce sont celles qui nous mettent tout de suite dans l’obligation de prendre en compte les besoins des autres et de considérer que nous sommes tous dans le même bateau »[9]. Pour elle, les États hérités de la colonisation, sont des fabrications européennes, qui ont imposé une conception de la nation qui n’est pas en adéquation avec la sensibilité subsaharienne. Même seulement à l’échelle régionale, avec par exemple une fédération d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique de l’Est, le fédéralisme sera de toute façon toujours plus pertinent pour nous, dans tous les domaines, laisse-t-elle entendre.

A leur manière, chacun de ces écrivains, Ngugi Wa Thiong’o d’un côté et Léonora Miano de l’autre, essaient d’assumer l’héritage du rêve de Kwame Nkrumah, et c’est dans cette dynamique qu’il faut pousser et orienter la jeunesse africaine.

 

Jean-Paul Sagadou

Initiateur des Voyages d’Intégration Africaine (V.I.A)

[1] Ngugi Wa Thiong’o, Pour une Afrique libre, Philippe Rey, Paris, 2017, p. 78.

[2] Idem, p.77.

[3] Léonora MIANO, L’impératif transgressif, L’arche, 2016, p. 103.

[4] https://www.franceculture.fr/emissions/le-reveil-culturel/leonora-miano-jai-ce-reve-depuis-toujours-dune-afrique-unifiee

[5] https://www.iz3w.org/zeitschrift/ausgaben/377_mode/miano_original/ consulté le 27/04/20 à 9h30

[6] https://www.iz3w.org/zeitschrift/ausgaben/377_mode/miano_original/ consulté le 27/04/20 à 9h30

[7] Léonora MIANO, Rouge impératrice, Grasset, Paris, 2019, p. 78.

[8] Idem, p. 90.

[9] https://www.iz3w.org/zeitschrift/ausgaben/377_mode/miano_original/ consulté le 27/04/20 à 9h30


13 mai 2020
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 [Réactiver le rêve africain] : Ouvrir de nouvelles perspectives pour l’Afrique.

 Jean-Paul est religieux assomptionniste. Il est l’initiateur des Voyages d’Intégration Africaine (V.I.A). Depuis une dizaine d’années, il travaille à donner à la jeunesse africaine la possibilité de participer à la construction d’une Afrique nouvelle par des rencontres interculturelles et interreligieuses d’intégration africaine. Dans cette chronique, il est en quête les leçons du covid-19 pour la jeunesse africaine.

 

Les espoirs et les attentes des jeunes africains ne seront comblés qu’au cœur d’une Afrique unie, forte, réconciliée, libérée de ses identités meurtrières et nourrie par le dialogue pacifique de ses identités multiples. L’intégration africaine est un instrument essentiel pour l’avenir de l’Afrique. Ces dernières années, de nombreux intellectuels africains l’ont affirmé fortement : la constitution des États-Unis d’Afrique est la seule voie qui ouvre des perspectives nouvelles pour le continent. L’intégration africaine est perçue comme la seule réponse convaincante au défi de la mondialisation ultralibérale et la planche de salut la plus sûre pour le continent africain.

Pour Joseph Ki-Zerbo, « l’option panafricaniste, aujourd’hui comme hier, demeure incontournable »[1]. Dans son Appel à la Jeunesse Africaine, Théophile Obenga affirme que « le futur de l’Afrique est panafricain, uniquement panafricain, toujours panafricain (…) Réanimer et revivre l’identité politique panafricaine, à travers les intégrations régionales et continentales, est le parcours adéquat vers le développement »[2]. Pour Cheikh Hamidou Kane, « L’Afrique doit s’unir, réellement, véritablement, rapidement, mettre en commun ses ressources humaines, au premier rang desquelles sa jeunesse, et ses ressources matérielles, parmi les plus considérables et les plus convoitées de la planète»[3]. Pour Edem Kodjo, « il n’y a pas d’avenir pour l’Afrique sans le panafricanisme et il ne saurait y avoir de renaissance véritable sans ressourcement au vin fort du panafricanisme »[4]. Pour Amzat Boukari-Yabara, « l’histoire du panafricanisme donne des clés pour comprendre, et parfois résoudre, les questions et les problèmes qui se posent à l’Afrique et que se posent les Africains »[5].  Plus récemment encore, au colloque « Penser et écrire l’Afrique », au Collège de France à Paris, l’historien et politologue camerounais, Achille Mbembe demandait que nous travaillions « à ouvrir l’Afrique à elle-même » en faisant de ce vaste continent un espace de circulation. Plus précisément, pour lui, « Il faut récupérer dans l’histoire précoloniale du continent la notion de transnationalité, retrouver cette circulation qui existait autrefois à travers les empires caravaniers et le commerce à longue distance. Il faudrait arriver à l’abolition des frontières héritées de la colonisation, car nul ne veut des Africains ailleurs »[6].

Fondamentalement, le projet d’une fédération continentale africaine doit mobiliser les énergies des jeunes africains. Le projet d’une Afrique unie peut paraître utopique pour certains. Mais, « l’utopie panafricaine est salutaire. Étant politique, elle peut devenir réalité demain »[7]. Il y a vraiment nécessité et urgence à éveiller chez les jeunes africains tous les sentiments qui leur permettent de participer à la construction d’une Afrique unie, parce que c’est notre intérêt de travailler à l’émergence d’une Afrique unie, politiquement stable, économiquement forte et raisonnablement gouvernée. L’enjeu est tellement important que nous devrions travailler tous pour que se mette en place la seule voie qui ouvre des perspectives nouvelles pour le continent, celle de la constitution des États-Unis d’Afrique noire. Le rendez-vous de l’histoire avec l’Afrique ne saurait exister sans la jeunesse africaine. Avec elle, nous pouvons rêver du possible.

Jean-Paul Sagadou

Initiateur des Voyages d’intégration africaine (V.I.A)

 

[1] Joseph KI-ZERBO, Repères pour l’Afrique, Ed. Panafrika/Slex/Nouvelles du Sud, Dakar, 2007, p. 180.

[2] Théophile OBENGA, Appel à la jeunesse africaine, éd. Ccinia communication, 2007, p. 73.

[3] Cf. Cheikh Hamidou KANE, Préface au livre de Aminata TRAORE, L’Afrique humiliée, Fayard, Paris, 2008, p. 18-19.

[4]Edem KODJO, Panafricanisme et Renaissance africaine, Ed. Graines de Pensées, Lomé, 2013, p. 7.

[5]Amzat BOUKARI-YABARA, Africa Unite! Une histoire du panafricanisme, Ed. La découverte, Paris, 2014, p. 286-287.

[6] Cf. Le Point Afrique – Publié le 05/05/2016 à 16:13 – Modifié le 05/05/2016 à 18:03

[7] Théophile OBENGA, op.cit., p. 104.


30 avril 2020
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L’intégration africaine ou le désir de l’autre[1]

« Lorsque je dessine les frontières de l’Afrique, j’ai toujours l’impression de blesser les peuples »[1].

 

Il semble qu’à ce jour, on compte plus de 200 organisations africaines travaillant à intégrer les Etats sur les plans politiques, économiques, culturels et juridiques, alors que le niveau d’intégration du continent comparée à celui d’autres espaces intégrés (comme l’Union européenne), reste très faible[2]. La conséquence est que l’Afrique reste « le plus morcelé des continents »[3]. Or, l’espace éclaté de l’Afrique est un espace négatif pour le développement. Chaque pays africain isolé dans « son coin », est limité dans sa capacité à réaliser la paix, la stabilité, le développement durable et l’amélioration du niveau de vie de ses populations. Le projet d’une intégration africaine réussie reste donc, plus que jamais, au cœur du problème, voire du « mal africain », et sa mise en œuvre doit être considérée comme une « ardente obligation »[4].

L’objectif de cette réflexion est de mettre en valeur la « dimension humaine » de l’intégration. Nous voulons indiquer ce que sont les enjeux de la rencontre humaine et ses conséquences pour l’Afrique en termes de dialogue, d’unité, de développement, de renaissance. C’est un propos à inscrire sous le registre de la quête d’une intégration « par le bas ». Cette perspective se dote d’une ambition affichée : donner du poids et de la valeur à une expérience vécue pendant cinq ans avec des jeunes africains : les voyages interreligieux d’intégration africaine. Cette entreprise est importante au moins pour trois raisons : penser et agir avec les jeunes en faveur de l’intégration africaine, c’est permettre à la jeunesse de prendre conscience « de la nécessité absolue d’être fière de son continent, fière de sa culture, fière de son Histoire »[5] et travailler à faire des différences nationales, régionales, ethniques et religieuses, une véritable force. Ensuite, en creusant la notion d’intégration avec les jeunes, nous cherchons à montrer que le paradigme de l’intégration peut aider à la « compréhension mutuelle des questions fondamentales »[6] qui se posent aujourd’hui sur le continent africain. Enfin, c’est une manière de dire aux jeunes qu’être membre d’un réseau, c’est choisir de s’associer à un pouvoir d’action pour donner de l’impact à sa propre vision.

L’enjeu final est de contribuer à la formation des jeunes dans un esprit d’ouverture, d’altérité, où la personnalité se forme en recevant et en se donnant. Pour aider à comprendre mon propos, je m’attacherai d’abord à donner quelques repères historiques sur la question de l’intégration africaine. Je tenterai ensuite de mettre en lumière le sens de la notion d’intégration régionale africaine. L’enjeu que revêt cette intégration pour la jeunesse africaine donnera à voir les raisons pour lesquelles nous nous engageons dans cette voie avec les jeunes à travers la mise en place du Réseau de Jeunes pour l’Intégration Africaine (R.J.I.A).

Repères historiques sur le projet d’une intégration africaine

Depuis l’accession des pays africains à la souveraineté internationale, les leaders politiques n’ont pas manqué d’initier des tentatives de regroupements régionaux ou sous-régionaux. Beaucoup de penseurs africains ont estimé que l’avènement d’une Afrique politique stable devait passer par la construction d’ensembles sous-régionaux cohérents et reconnus. Ainsi la création, à l’échelle continentale, de l’OUA, Organisation de l’Unité Africaine, « sorte d’ONU à l’échelle africaine »[7], devenue Union Africaine (UA), manifestait cette volonté  de construire une Afrique unie. Créée en 1963, l’OUA avait pour objectif d’aboutir à une communauté économique africaine pour l’ensemble du continent. En 1980 a été adopté le Plan d’Action de Lagos, qui prévoyait le passage vers l’unité par cinq étapes successives, en commençant par des unions régionales, pour aboutir à la communauté continentale en l’an 2000. Mais la lenteur des progrès des unions a amené l’organisation, en 1991, à reporter son ambition pour l’an 2035. Outre l’Union Africaine, on peut citer comme structure œuvrant à l’échelle continentale l’OHADA (l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires), dont le Traité a été adopté en 1993. Parmi les organisations d’intégration à vocation régionale, on peut distinguer deux grandes catégories[8]. Les unes à vocation générale d’intégration économique, les autres à vocation sectorielle. L’objectif des organismes à vocation générale d’intégration est d’aboutir à une communauté économique plus ou moins poussée au niveau d’une région comme l’Afrique de l’Ouest avec la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest), l’Afrique Centrale avec la CEMAC (Communauté Economique et monétaire d’Afrique Centrale), l’Afrique de l’Est avec la COMESA ( Acronyme anglais pour le Marché commun d’Afrique orientale et australe) et l’Afrique Australe avec la SADC (Communauté pour le développement de l’Afrique australe). Les organismes à vocation sectorielle ont, quant à eux, des objectifs et des actions limités dans le domaine du commerce ou de l’industrie comme l’ASECNA (Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne).

Globalement, les intégrations régionales constituent un aspect significatif des réalités internationales. Un peu partout dans le monde, des États s’associent, des accords d’intégration plus ou moins formalisés voient le jour qui, lorsqu’ils sont suivis d’effets, influencent les relations qui se nouent entre de nombreux acteurs publics et privés. Analysant le cas particulier de l’Afrique de l’Ouest, Mohamadou Abdoul émet l’hypothèse générale selon laquelle « un approfondissement de l’intégration des économies, des sociétés et des territoires constitue le moyen par lequel l’Afrique de l’Ouest peut se réapproprier sa propre croissance, son développement et son destin[9] ». Pour Alpha Oumar Konaré, ancien secrétaire général e l’UA, « un environnement économique mondial en rapide évolution exige que nous avancions à grands pas et de façon rationnelle pour parvenir à l’intégration régionale. Nos anciens engagements en faveur de la coopération transfrontalière nous y incitent. Et les besoins et les aspirations de nos peuples nous y obligent »[10]. On peut discerner ces anciens engagements dans le mémorable discours de Kwame Nkrumah en mai 1963 à l’OUA :

« … Tant que nous n’aurons pas réussi à mettre un terme à ce danger, par la compréhension mutuelle des questions fondamentales et par l’unité africaine qui rendra périmées et superflues les frontières actuelles, c’est en vain que nous aurons combattu pour l’indépendance. Seule l’Unité africaine peut cicatriser cette plaie infectée des litiges frontaliers entre nos divers États. (…) Le remède à ces maux est entre nos mains mêmes. Il nous confronte à chaque barrière douanière, il crie vers nous du fond de chaque cœur africain. En créant une véritable union politique de tous les États indépendants d’Afrique, dotée de pouvoirs exécutifs pour exercer une direction politique, nous pouvons avec espoir et confiance répondre à chaque circonstance critique, à chaque ennemi, à chaque problème complexe. ».

La problématique de l’intégration et de l’unité africaine est chez Nkrumah un défi lancé tant à sa génération qu’à celle d’aujourd’hui. Quand Nkrumah a eu cette idée lumineuse : « Africa must unite », écrit Joseph Ki-Zerbo, « il y avait chez lui une inspiration, une vision et une volonté qui ont fait marcher les jeunes étudiants que nous étions[11] ». Nkrumah est le premier dans l’histoire à insister sur la nécessité de créer une fédération économique à l’échelle continentale. Le panafricanisme implique chez lui, « la réalisation des groupes fondés sur la proximité géographique, l’interdépendance économiques et les affinités linguistiques et culturelles des États Africains, seul rempart possible contre la poussée néo-colonialiste d’après indépendance et seul moyen de réaliser la communauté panafricaine[12] ». C’est Nkrumah qui montre la voie vers l’intégration africaine et la construction africaine, et le panafricanisme n’est autre chose qu’un mouvement d’intégration du continent africain.

Lignes de positions : de l’intégration « par le haut » à l’intégration « par le bas »

Prenons d’abord acte de cette remarque du professeur Joseph Ki-Zerbo : « Sur l’intégration, presque tout a été dit ; et pourtant presque tout reste à faire. Tel est le drame de l’Afrique, la dichotomie entre un verbe qui reste stérile et un processus qui nous échappe ». Ces mots indiquent à merveille qu’il faut continuer à creuser le sens du mot intégration. Les définitions disponibles aujourd’hui ne manquent pas d’indiquer que « l’intégration régionale africaine » c’est l’inverse du cloisonnement des espaces géographiques, culturels, économiques, et politiques. L’intégration régionale serait la convergence politique, économique et sociale d’un ensemble de pays conscients des limites des politiques nationales et désireux d’optimiser leurs chances de développement.  Pour notre propos, retenons que l’intégration est le fait pour les États africains de mettre ensemble les ressources humaine et naturelle afin de sortir le continent du sous-développement

Aujourd’hui, certains spécialistes des questions d’intégration africaine, estiment que le discours sur l’intégration a été très largement technocratique jusque-là et qu’il y a nécessité à valoriser l’intégration par le bas qui permet d’impliquer les citoyens des pays dans une dynamique que les sommités étatiques seules ne pourraient endosser d’une manière durale et pérenne. L’intégration par les dirigeants politiques est ce qu’on appelle « intégration par le haut ». Elle consiste à confier les rênes de l’intégration à la classe politique ; dirigeants politiques, leaders d’opinions en sont considérés comme les acteurs privilégiés. Cette approche institutionnelle qui a permis de réaliser des avancées, semble s’essouffler, donnant plus de place à l’intégration des peuples et des collectivités territoriales.

L’intégration par le bas est l’inverse de celle par le haut. Contrairement à la seconde qui confiait l’intégration aux leaders politiques du continent, la première vise à la fonder sur les peuples. Comme le note si bien Ali Sylla, « Fonder l’intégration sur les peuples, c’est sortir le débat sur l’unité africaine des palais présidentiels et autres salons feutrés pour la ramener dans la rue, au niveau de la société civile, dorénavant actrice, non plus simple spectatrice »[13]. L’intégration par le bas part du principe selon lequel les peuples africains, au cours de l’histoire, ont tissé des relations qui transcendent les frontières héritées de la colonisation et qui précèdent la naissance des différents États. Ces relations, quoique remontant pour la plupart à des temps immémoriaux, continuent de réguler les rapports entre ethnies, clans et tribus. L’intégration par le bas prône un retour au local, c’est-à-dire au territoire pour valoriser davantage le potentiel d’intégration régionale ouest africain. Il s’agit de replacer les populations au cœur du processus, de « construire l’Afrique à partir de ses territoires ». Cette perspective invite aussi à considérer l’intégration africaine comme une expérience humaine à vivre et un effort pour rassembler des hommes qui n’ont pas forcément les mêmes points de vue ni les mêmes habitudes culturelles.

L’intégration africaine ne peut réussir que dans la mesure où le si le continent est apaisé et stable. Or, c’est le désir réciproque des uns pour les autres qui peut instaurer un climat de paix et de sécurité. Comme l’écrit le Pape François :

« Ce n’est pas la culture de l’affrontement, la culture du conflit qui construit la vie collective dans un peuple et entre les peuples, mais celle-ci : la culture de la rencontre, la culture du dialogue : c’est l’unique voie pour la paix ». (Angélus du 1er septembre 2013)

C’est le désir de l’autre, ce sentiment qui nous pousse à rechercher l’autre – l’autre comme individu, comme ethnie ou comme État – qui constitue le fondement d’une intégration réussie. On comprend pourquoi Albert Tévoédjré invite à construire une « solidarité » qui apporte aux autres ce qui leur manque et à recevoir d’eux ce qui nous manque. Dans cette forme de solidarité, « il s’agit de nous reconnaître tels que nous sommes tous, avec toujours quelque faiblesse, avec toujours quelque besoin à couvrir, que ce soit sur le plan personnel, national ou international »[14]. Quant au Général Ferdinand Mbaou, il voit dans l’intégration africaine l’idée de « décloisonnement ». Il donne ce conseil à chaque Africain : « (…) apprends à décloisonner le cercle de ton groupe d’appartenance à quoi, pour toi, se résument l’univers et le monde. Apprends à l’ouvrir sur l’État que la colonisation t’avait légué ; puis de là, prends pied sur le continent tout entier »[15]. Par ce conseil, il invite les uns et les autres à l’ouverture sur l’autre, les exhorte à renoncer au repli sur soi. Le terme « décloisonnement », dans la mesure où il signifie tension hors de soi, projection vers l’autre, est synonyme de « désir de l’autre ». C’est dans cette voie que nous travaillons aujourd’hui à engager la jeunesse africaine.

Lignes d’actions : l’intégration comme enjeu majeur pour la jeunesse

S’adressant à la jeunesse africaine, le Professeur Joseph Ki-Zerbo écrit :

« Chaque génération doit se fixer ses enjeux (…) J’estime personnellement que l’enjeu de l’intégration africaine vaut la peine de se battre. Au lieu de laisser les chefs d’États accaparer cet enjeu de l’unité africaine que de toute façon ils ne veulent pas réaliser : chacun veut être le roi chez lui, le sultan, le roitelet. Peu importe l’unité africaine, pourvu qu’il soit le maître d’un territoire ! L’intégration africaine ne se réduit pas à un simple enjeu économique. En réalité, c’est beaucoup plus large. Les pays africains doivent se reconstituer en tant qu’entité, en tant qu’identité, en tant que personnalité »[16].

Bousculés par ces propos de l’historien burkinabè, et conscient des enjeux et des défis que présente pour l’Afrique les temps actuels, nous avons lancé en 2009, avec et pour les jeunes les voyages d’intégration africaine (VIA), et en 2011, nous avons mis en place le Réseau de Jeunes pour l’Intégration Africaine (RJIA). L’histoire des voyages interreligieux d’intégration africaine et du réseau de Jeunes pour l’Intégration Africaine est donc assez récente. Cela dit, même courte, une histoire ne cesse pas pour autant d’être l’histoire. Depuis 2009, sept éditions des voyages d’intégration africaine ont déjà été réalisées dans cinq pays différents avec des thèmes différents et regroupant chaque année plus de 50 jeunes de pays différents : le Burkina Faso en 2009 avec  comme thème : « l’intégration africaine », le Bénin en 2010 avec « intégration et rencontre des cultures » comme thème, le Mali en 2011 avec le thème : « intégration et renaissance africaine », en 2012 en Côte d’Ivoire avec comme thème : « Réconciliation et intégration africaine », en 2013 au Togo avec le thème : « Citoyenneté et intégration africaine », en 2015  au Sénégal avec le thème : « Intégration africaine et culture démocratique », en 2017 au Ghana avec le thème : « La jeunesse africaine et afro-descendante face au panafricanisme : Nkrumah et la reconstruction de l’Afrique au XXIème siècle  ».

Cette initiative trouve son originalité dans le fait qu’elle s’adresse à des jeunes de toutes les confessions religieuses : musulmans, catholiques, protestants, adeptes de la religion traditionnelle africaine. En initiant ces voyages, nous avons l’ambition de faire émerger les richesses présentes à l’intérieur des différences ethniques, religieuses et nationales. Notre hypothèse, c’est que les jeunes peuvent être le moteur d’une nouvelle et véritable intégration africaine. Après cinq décennies d’expériences d’intégration en Afrique, les résultats semblent fort mitigés. Ceux qui ont le plus intérêt à cette intégration que sont les acteurs de base, ne sont pas souvent pris en compte dans les politiques gouvernementales d’intégration. Cette situation fragilise le processus d’intégration « par le haut », c’est-à-dire par les règles et les institutions. Or, il y a, de la part de divers groupes sociaux, une volonté manifeste d’aspirer à un idéal d’intégration véritable. C’est le cas de la jeunesse africaine. L’enjeu donc, avec les jeunes, est de travailler à la valorisation de l’intégration « par le bas », celle qui se réalise en marge des institutions grâce aux solidarités sociales et culturelles et grâce aux réseaux. Il est entendu que cette intégration « par le bas » ne sera effective que si nous travaillons à donner la possibilité aux jeunes de pouvoir se rencontrer pour échanger entre eux. Car, les jeunes :

« Ne pourront vraiment apporter des éléments enrichissants que lorsqu’ils auront mûri leur réflexion dans les contacts avec d’autres jeunes. Pour ce faire, le tourisme culturel à l’intérieur et à l’extérieur du pays, les voyages et rencontres culturelles de jeunes, le pluralisme associatif sont à encourager…C’est dans de telles expériences que les jeunes pourront acquérir des valeurs citoyennes telles que l’acceptation de la différence, la non-violence, le souci du bien commun, etc.,»[17].

D’après le mot d’Amin Maalouf, nous sommes devenus des « compagnons de voyage », car, il n’y a plus d’étrangers dans notre monde. Nous sommes condamnés à cultiver une « pensée métisse », à voir large, à voir loin. Les voyages permettent de découvrir le sens des choses et la valeur des hommes et selon le philosophe Heidegger, « qui veut penser grandement doit errer grandement ». C’est cette possibilité de découvrir le monde, de connaître les choses et les hommes en sortant de chez soi et de soi, que nous essayons, depuis cinq ans, de donner aux jeunes à travers les voyages d’intégration africaine dans l’espace ouest africain.

Perçue sous cet angle, notre initiative est une manière de mettre en pratique le paradigme de l’intégration africaine et de l’empêcher d’être classé au registre des « mots hourra » ou des « expressions slogan ». Nous sommes à la recherche d’une intégration africaine qui ne soit pas simplement « déclarative », « incantatoire », « imaginaire », « purement théorique ou analytique », mais plutôt une intégration en état de marche et en situation d’invention.  La jeunesse africaine est capable de cette mise en route d’une véritable intégration. Il faut, avec elle, travailler au déblocage de l’esprit ethniciste, nationaliste et fondamentaliste. Avec l’historien Joseph Ki-Zerbo, nous pensons que « l’identité religieuse, raciale, idéologique (…) ne doivent pas s’imposer comme schéma directeur de l’ensemble des Africains[18] ». Nous pensons que pour construire une Afrique réconciliée, nourrie par le dialogue pacifique de ses identités multiples, il nous faut donner aux jeunes l’occasion de la rencontre, du dialogue, de l’échange.  Nous sommes fermement attachés à la construction d’une Afrique unie, parce que c’est « notre intérêt d’aider à l’émergence d’une Afrique politiquement stable, raisonnablement gouvernée, autosuffisante pour son alimentation, capable de fournir un emploi à ses populations, de les soigner et de les éduquer[19] ». Accompagner les jeunes dans l’éveil de leurs libertés, contribuer à la formation des consciences et à la pratique d’une fraternité réelle au-delà des différences, rapprocher des gens différents, créer du lien, faire naître la communion et la solidarité entre personnes de différents pays, de différentes ethnies, de différentes confessions religieuses, telle est une des ambitions des religieux assomptionnistes en Afrique de l’Ouest.

Conclusion

A la question : « quelles sont les grandes questions qui se posent aujourd’hui en Afrique ? », le professeur Ki-Zerbo répond : « Parmi les grandes questions, il y a d’abord celle de l’État » et il ajoute aussitôt : « Ensuite, il y a la question de l’unité et de l’émiettement de l’Afrique. Mon idée (…), c’est que l’Afrique doit se constituer à travers l’intégration »[20].  Pour lui, « le lieu de solutions de quelques-uns de nos problèmes essentiels ne réside que dans une certaine intégration de l’espace africain. En dehors de cette intégration, on parle pour ne rien dire »[21]. Il précise son idée : « sans l’unité, nous ne sommes rien. Je dis bien nous ne sommes rien, je ne dis pas nous n’avons rien[22] ».  Dans ces multiples lignes, nous avons essayé de montrer que le succès de l’intégration africaine repose sur le « désir de l’autre », désir qui doit habiter tout africain. Avec ce désir, l’autre comme État, comme peuple ou comme individu n’est plus étranger ni étrange, mais il devient plutôt étrange de le considérer comme tel puisque désormais chacun est tendu vers tous par des sentiments de sympathie, de fraternité et de convivialité. C’est seulement en ce moment que frontières, barrières et cloisons tomberont. Au fond, l’intégration africaine n’est pas un projet politique parmi d’autres. C’est le projet opératoire pour donner aux sociétés africaines une configuration moderne en leur faisant triompher de l’ethnicisme et de toutes ses formes de régionalisme. C’est le projet politique (au sens de polis) qui ouvre aux peuples africains une perspective opératoire pour construire une nouvelle Afrique.

 

Jean-Paul Sagadou

Initiateur des Voyages d’intégration africaine (V.I.A)

Ouagadougou/Burkina-Faso

[1] Propos d’un géographe cités dans Le Monde diplomatique, décembre 2012. (Voir article de Anne-Cécile ROBERT, Que reste-t-il des frontières africaines ?, p. 15)

[2] Ali SYLLA, « Du fondement d’une intégration réussie », in Notre Afrique, n° 001, 2009, p. 40. Nous nous inspirons beaucoup de cette étude.

[3] Jean ZIEGLER, Main basse sur l’Afrique. La recolonisation, Paris, seuil, 1980, P. 21

[4] Joseph KI-ZERBO, Repères pour l’Afrique,  Silex/Nouvelles du Sud, Dakar, 2007, p. 152.

[5] Edem KODJO, Panafricanisme et Renaissance africaine,  Les éditions Graines de Pensées, Lomé 2013, p. 104.

[6] Extrait de son discours en mai 1963 à l’OUA, à Addis-Abeba

[7] Michel AURILAC, l’Afrique à cœur. La coopération, un message d’avenir, Paris, Berber-Levrault, 1987, p.19.

[8] Cf. Ali SYLLA, « Du fondement d’une intégration africaine réussie », in Notre Afrique, n°001, 2009.

[9] Mahamadou ABDOUL, « La coopération transfrontalière dans la problématique de l’intégration africaine : vers une Afrique de l’Ouest maîtresse de son avenir », in Au Professeur Joseph Ki-Zerbo. Hommages et témoignages, Etudes et Recherches, n° 277, Dakar, 2010, p. 73.

[10] Alpha Oumar KONARE, K. Y. AMOAKO, Etat de l’intégration régionale en Afrique, Rapport de la Commission économique pour l’Afrique, 2004.

[11] Joseph KI-ZERBO, A quand l’Afrique, op.cit, p. 16.

[12] L’Afrique noire de 1800 à nos jours, p. 392

[13] Ali SYLLA, « Du fondement d’une intégration africaine réussie », in Notre Afrique, n°001, 2009.

[14] Albert TEVOEDJRE, La pauvreté, richesse des peuples, Paris, édition économie et humanisme, 1978, p. 150.

[15] Ferdinand GENERAL MBAOU, Le développement de l’Afrique passe par l’amour de l’Afrique et des Africains, Paris, Éditions Publibook, 2007, p. 23

[16] Joseph KI-ZERBO, A quand l’Afrique, op.cit, p. 162.

[17] Maryse  QUASHIE (Professeur de sciences de l’Education à l’Université de Lomé/Togo), « Dix propositions pour que les jeunes soient les accoucheurs d’une nouvelle société », in Le Rameau de Jessé, n° 1, 2000, p. 32.

[18] Joseph KI-ZERBO, repères pour l’Afrique, op.cit, p. 86.

[19] Francis SAUDUBRAY, « Les vertus de l’intégration régionale en Afrique »,  in Afrique contemporaine, n° 227, 2008/3, pp. 175-185

[20] Joseph KI-ZERBO, A quand l’Afrique ?, Entretien avec René Holenstein, Lausanne, Suisse, 2013, Editions d’en bas,  (Première édition : 2003 ; éditions de poche : 2004)

[21] Joseph KI-ZERBO, Repères pour l’Afrique,  Silex/Nouvelles du Sud, Dakar, 2007, p. 103.

[22] AA.VV ; Au professeur Joseph Ki-Zerbo. Hommages et témoignages, Série Etudes et Recherches, n° 277, Dakar, p. 123.

 

[1] Texte publié dans Itinéraires Augustiniens, Revue semestrielle –n° 54 – Juillet 2015, pp. 41-48


27 avril 2020
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La jeunesse africaine : l’espoir des désespérés

 

Ligne de départ : un questionnement

Comment penser et orienter le devenir de la jeunesse africaine (plus de 60% de la population est âgée entre 18 et 25 ans, vivant à la fois dans les campagnes et dans les villes), dans un contexte où espoir, peur et humiliation sont mêlés ?  Quel espoir pour la jeunesse africaine dans un continent marqué par des violations de la légitimité démocratique, par des intégrismes violents, par des maladies, par le chômage ? Par quel chemin passer pour penser, préparer et éclairer l’avenir du continent africain ?

Ligne de position : un axe de réflexion

Il faut penser l’avenir du continent africain, avec la jeunesse africaine, sur la base de l’espoir, du possible. Beaucoup de jeunes pensent l’Afrique comme un « lieu négatif » selon l’expression de Chinua Achebe, sans avenir et sans espoir. Continent sans avenir, écartelée par les démons inséparables de l’instabilité politique et du dénuement économique…cette vision de l’Afrique a été facilité par la production d’une abondante littérature qui désigne l’Afrique de cette manière-là : l’Afrique noire est mal partie, l’Afrique ambiguë, l’Afrique bloquée, l’Afrique marginalisée, l’Afrique pauvre, très pauvre… La corruption, la mal gouvernance, l’exploitation des richesses au profit d’intérêts privés, le chômage, les épidémies (Ebola), les guerres, le terrorisme : tout cela fait de l’Afrique une terre de misère et de barbarie et donc un lieu négatif sans avenir et sans espoir. Certains vont jusqu’à écrire – c’est le cas de Stephen Smith dans sa Négrologie, que « l’Afrique est le mouroir de tous les espoirs, un continent en agonie prêt à être rayé de la carte géopolitique internationale ».

Sans être naïf sur la réalité du continent africain, je fais l’hypothèse que dans le contexte actuel de notre continent, l’espérance est le meilleur choix que puisse faire notre liberté face au temps. C’est l’espérance qui nous donnera l’énergie maximale pour construire l’Afrique de demain. L’espérance peut être le lieu d’une genèse renouvelée. Je fais le pari de l’espérance. Ce pari n’est pas un pari « malgré tout » ou « après tout », ou pour le dire autrement, « parce qu’on ne sait pas quoi faire d’autre ». Le choix de l’espérance est fondé sur la capacité à ouvrir des possibilités à un devenir, à un avenir meilleur. Depuis quelques années de nombreux livres, journaux et magazines ne cessent de chanter : l’Afrique, un nouvel horizon[1],  l’Afrique, un continent qui gagne[2], l’Afrique, un continent d’avenir[3]. On nous parle de l’Afrique qui bouge, de l’Afrique comme d’une nouvelle Afrique qui émerge[4]. Jean-Michel Severino et Olivier Ray, nous disent même que nous sommes dans Le Temps de l’Afrique et ils s’autorisent, à propos, de l’Afrique, à écrire : « On la croyait vide, rurale, animiste, pauvre, oubliée du monde. Or, cinquante ans après les indépendances, la voilà pleine à craquer, urbaine, monothéiste. Si la misère et la violence y sévissent encore, la croissance économique y a repris ; les classes moyennes s’y développent. Elle était «mal partie » ; la voilà de retour – à grande vitesse »[5].

Donc, entre pessimisme et optimisme, je fais le pari de l’espérance ! C’est ce que je vais essayer de faire valoir dans les lignes qui suivent.

I. L’Afrique, un pôle d’espérance ?

Il s’agit de s’interroger sur la capacité de l’Afrique à être un pôle d’espérance pour la jeunesse africaine

  1. Le poids de l’Occident dans l’idée du « futur » africain.

Pour beaucoup de chercheurs – notamment les chercheurs Occidentaux – le continent africain ne peut pas constituer un pôle d’espérance, malgré ses richesses minières fabuleuses : 80% du platine, 40% des diamants, plus de 20% de l’or et du cobalt de la planète, des réserves pétrolières colossales, des forêts, des cours d’eau, des terres arables en quantité n’y changent rien. Pour Stephen Smith, « le présent n’a pas d’avenir en Afrique »[6], car « l’Afrique se meurt d’un suicide assisté »[7]. La corruption, la mal gouvernance, l’exploitation des richesses au profit d’intérêts privés, le chômage, les épidémies, les guerres, le terrorisme font de l’Afrique une terre de misère et de barbarie et donc un lieu négatif sans avenir et sans espoir. Dans un livre intitulé L’Afrique vue par ses jeunes. Le chaos et l’espoir, publié à l’Harmattan en 2007, sous la direction de Noureddine Affaya et Driss Guerraoui, les jeunes africains jugent et analysent eux-mêmes leur continent et considèrent l’Afrique comme : « complexe, déstructurée, mal gouvernée, mal développée, exploitée sans scrupule, malade ; où le népotisme et le clientélisme, la lutte acharnée pour la préservation des intérêts privés, et des clans, deviennent des traditions, héritées, depuis la période coloniale jusqu’à maintenant »[8]. Dans ce contexte, pour reprendre le titre d’un livre du politologue Camerounais Achille Mbembe, l’Afrique peut-elle « sortir de la grande nuit »[9] ? Peut-on rêver d’un nouveau « monde-africain-qui-vient »[10] ?

  1.  Quand l’Afrique cherche à se « tenir débout par elle-même » !

Les études prospectives de ces dernières années montrent que l’Afrique constituera au XXI° siècle (et nous y sommes) un marché porteur et une sphère appropriée de création d’activités économiques nouvelles. Ces perspectives sont mises en évidence par le poids démographique et économique futur du continent africain. En 2050, la population mondiale devrait être de l’ordre de 9,191 milliard d’habitants et le continent africain comptera à lui seul 1,998 milliard d’habitants, soit près de trois fois plus peuplé que l’Europe qui ne comptera que 664 millions d’habitants. L’Afrique représentera alors 18 % de la population mondiale. Elle sera plus peuplée que la Chine qui ne devrait avoir que 1,408 milliard d’habitants et que l’Inde avec 1,658 milliard d’habitants. (Cf. Les rapports documentés de la Division de la population du département des affaires économiques et sociales des Nations Unies[11]).

Ces prévisions démographiques peuvent ne pas se réaliser intégralement à l’avenir, mais elles annoncent des tendances qui donnent à penser. Par exemple, on peut considérer que la population africaine restera marquée pour les 25 prochaines années par sa jeunesse, réalité démographique synonyme de croissance soutenue des besoins et donc d’une demande potentielle dans les domaines les plus divers. Donc, « ne serait-ce que pour des raisons démographiques, une large part du destin du XXIe siècle se joue en Afrique »[12].

Il n’existe aucune fatalité à ce que le destin de l’Afrique soit placé sous le signe de la violence, de la misère et de la tyrannie. Misère, pauvreté, sous-développement, guerres et maladies ne doivent pas être perçus comme des réalités inscrites dans le patrimoine génétique des africains. Un « autre monde est possible » pour l’Afrique et beaucoup de penseurs africains estiment que nous sommes à l’heure de l’ « invention de l’Afrique »[13], c’est-à-dire, à ce moment de l’histoire de l’Afrique où il faut se débarrasser de l’Afrique dont l’identité a été fabriquée par les « bibliothèques coloniales », et donner la possibilité aux africains de s’exprimer de manière indépendante et de travailler à se réaliser par leurs propres forces. Chez certains intellectuels africains, c’est presqu’une profession de foi : « Grâce à une Organisation des Nations Unies rénovée et ouverte, grâce à une Union africaine démocratique et ambitieuse et avec le soutien actif et désintéressé des peuples et des ‘esprits-monde’ qui s’affirment aux quatre coins de la planète, je ne doute pas que, plus encore qu’au XX° siècle ; l’Afrique noire sera la « divine surprise » du XXI° siècle. Si la Chine humiliée du début du XX° siècle a pu, à la fin du siècle passé, émerger fièrement comme rivale de l’Occident, rien ne devrait pouvoir freiner l’ascension du monde négro-africain »[14]. Pour y arriver, il faut mettre en place des institutions fortes et trouver des hommes intelligents, éclairés pour les diriger.

3.  Le devoir d’imaginer des institutions fortes pour l’Afrique

L’Afrique a besoin de se doter des capacités institutionnelles qui lui permettent de défendre ses intérêts et d’exercer ses responsabilités collectives.  L’Afrique reste un continent émietté et les nations qui la composent forment un groupe très peu homogène pour prétendre peser dans les négociations internationales. Ainsi, alors que nous ventons la force démographique de l’Afrique, il faut reconnaître que ce continent n’a pas l’unité institutionnelle qu’il faut pour négocier avec les autres grands ensembles du monde. Cette situation alimente l’afro-pessimisme. Cela dit, en mai 2000, l’hebdomadaire international The Economist a publié un dossier édifiant sur l’Afrique avec comme titre en page de couverture : « The hopeless continent » (le continent sans espoir). En décembre 2011, le même magazine titre en page de couverture concernant l’Afrique : «The hopeful continent » (le continent prometteur) avec une documentation instructive. The Economist rappelle qu’au cours de la première décennie du XXI° siècle, « six des 10 pays ayant la plus forte croissance étaient africains », ou que sur 8 des 10 dernières années, l’Afrique a connu un taux de croissance supérieur à l’Asie de l’Est (Japon inclus)[15]. Faut-il conclure que l’avenir de l’Afrique se fera sur la base même de la force de ses paradoxes ? En tout cas, nous pensons que « l’incertitude africaine »[16] n’empêche pas de faire, avec la jeunesse africaine, le pari de l’espérance, car, « au point où en est le monde on n’a ni le droit de choisir la fuite en avant, ni de désespérer »[17].

II. Le pari de l’espérance avec la jeunesse africaine

  1. Renoncer à l’espérance, c’est renoncer au goût de l’avenir

L’espérance est liée à un pari sur les possibilités actuelles ou futures. Elle pousse à évaluer le possible maintenant tout en incitant à faire une confiance raisonnée au temps. Depuis une dizaine d’années, je parcours  l’Afrique de l’Ouest avec des jeunes africains dans le cadre de voyages d’intégration africaine[18] avec l’ambition de sensibiliser la jeunesse africaine aux enjeux actuels du continent. L’intégration africaine est justement un de ces enjeux majeurs pour l’Afrique. En Afrique de l’Ouest, l’impulsion est donnée par l’UEMOA (Union Economique Monétaire Ouest Africaine) et la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Mais ces Espaces communautaires n’arrivent pas toujours à faire valoir la logique sous-régionale, et les attentes restent encore très fortes, ne serait-ce que sur la libre circulation des biens et des personnes.

C’est précisément en partant de ce constat que nous proposons aux jeunes africains de se rencontrer dans la dynamique de l’intégration pour faire d’eux de vrais héritiers du panafricanisme. Ces rencontres visent à donner une chance à l’intégration sous-régionale par les échanges entre jeunes et à favoriser le respect des valeurs humaines et spirituelles des peuples sans distinction. Avec ces aventures, qui valorisent l’intégration « par le bas », à côté de l’intégration « par le haut » prôné par les Etats, nous avons fait le choix de penser l’avenir de l’Afrique sur la base d’un principe : celui de l’espérance. Ce principe consiste à dire qu’une société qui n’est plus « tirée en avant » par une valorisation de l’avenir, sera une société sans promesse et sans espérance. Nous ne pouvons pas renoncer à l’espérance, car renoncer à l’espérance, c’est renoncer au goût de l’avenir, et renoncer au goût de l’avenir, c’est s’accommoder du présent, et le présent, si on n’y prend garde peut se présenter sous la forme d’un désordre.

  1. Penser l’avenir sur la base du principe de l’espérance

Il est nécessaire de penser l’avenir avec la jeunesse africaine sur la base du principe de l’espérance. Les jeunes africains sont pleins de dynamisme et de volonté, et l’espérance est ce qui aide la volonté à s’engager même là où, maintenant, tous les moyens d’une réussite certaine ne sont pas maîtrisables. L’espérance n’est pas seulement une vertu théologale nourrissant la foi des chrétiens, mais c’est aussi, du point de vue de la pensée humaine, le meilleur choix que puisse faire notre liberté face au temps. Dans les années 50, Ernst Bloch, un athée résolu, a publié un important livre en trois volumes intitulé Le Principe espérance. Il attirait notre attention sur les dangers d’un monde clos, un monde sans projet ni dessein[19]. Le contexte de l’Afrique nous inspire peut-être des idées de fatalité ou des causes perdues : le terrorisme, les tragédies que provoque l’immigration, les barbaries humaines ici et là, ….tout cela ne fait qu’habiller le continent noir en noir donnant à la jeunesse africaine l’impression de vivre dans un continent « pour-la-mort » et d’être condamnée à une forme de « clôture de l’avenir »[20]. La désespérance gagne une bonne partie de la jeunesse africaine et les jeunes africains, désespérés, « baissent les bras ».  Et quand on baisse les bras, ou ouvre les portes au désespoir et le désespoir peut conduire à l’enfer.

  1. L’enfer : le lieu de l’inespoir

Faut-il se livrer au désespoir et donner à croire que le pire est certain ?  Il semble que « quand croit le péril, croît aussi ce qui sauve » (Hölderlin) et ce qui peut sauver en ce moment la jeunesse africaine, c’est l’espérance. Dans la tradition chrétienne on parlait autrefois du péché d’acédie, lequel consiste en un renoncement à l’espérance. L’acédie était placé au premier rang des péchés capitaux et on comprend pourquoi Dante, dans La Divine Comédie, fait figurer une inscription explicite à l’entrée de l’enfer : « Vous qui entrez ici, quittez toute espérance », car, très justement, l’enfer est le lieu spécifique de l’inespoir[21]. Oserions-nous écrire que pour les jeunes africains, renoncer à l’espoir, c’est ouvrir les portes de l’enfer ? En tout cas, ce qui se laisse voir, c’est que sous la pression des difficultés économiques et sociales extrêmes, beaucoup de jeunes sont décidés à partir, quitte à mourir en mer. Dans son livre, l’Afrique humiliée, Aminata Traoré parle justement des « désespérés qui traversent l’enfer du désert », évoquant ainsi la réalité de ces milliers de jeunes africains contraints à émigrer dans la clandestinité du fait d’une situation économique et politique difficile dans beaucoup de pays africains. Sans-emploi, sans-repères, sans-voix, les jeunes africains sont dépourvus de perspectives d’avenir et il faut beaucoup d’énergie et d’imagination pour leur donner des raisons d’espérer, de croire en eux-mêmes, en leur pays, en leur continent. Je pense qu’il faut leur proposer des grands rêves, c’est-à-dire des raisons d’espérer.

  1. Proposer des grands rêves à la jeunesse africaine

Il nous faut accompagner, de manière déterminée, cette jeunesse africaine. J’appelle surtout à rêver d’unité africaine avec la jeunesse. Je pense que nous sommes autorisés à penser la construction d’une Afrique forte et unie, et à rêver que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Nous devons favoriser la naissance de « grands rêves »[22] dans l’esprit des jeunes africains, des rêves qui permettent de se donner des lignes d’horizons, de savoir s’orienter, de savoir où aller, de savoir quel chemin emprunter pour se retrouver soi-même et atteindre les buts qu’on s’est fixés. Je crois que le rôle des adultes est de montrer aux jeunes le chemin à suivre et de leur dire qu’ils sont comme des voyageurs qui gravissent la montagne dans la direction d’une étoile et que malgré les difficultés de l’escalade, il faut tenir bon et ne pas perdre de vue l’étoile de référence. Dans le contexte actuel de notre continent, l’espérance est donc le meilleur choix que nous puissions faire. C’est l’espérance qui nous donne l’énergie maximale pour construire l’Afrique de demain. Il y a un espoir pour les désespérés. Nous voulons dire par là qu’il y a une volonté du désespéré. Une volonté qui projette toujours en avant, au-delà du présent. L’espérance n’est pas opposée à la volonté et la volonté n’exclut pas l’espérance.  Il faut donc tout faire pour aider la jeunesse africaine à ne pas sombrer dans le désespoir, car, quand le désespoir nous prend, nous nous détachons dangereusement de la vie. Le désespoir tue le désir de vivre, car il provoque à désirer la mort, l’anéantissement. Ne voyons-nous pas, ici et là, des jeunes se suicider ?

Une manière d’aider la jeunesse africaine, c’est de l’inviter à l’ouverture, au large, pour créer un futur nouveau : l’unité de l’Afrique.

III. L’unité de l’Afrique : un projet d’espérance

  1. « Sans l’intégration africaine, nous ne sommes rien » (J. Ki-Zerbo)

L’espoir de la jeunesse africaine se trouve aujourd’hui dans le noble projet de l’unité du continent. L’ambition de la jeunesse africaine est de travailler à mettre en œuvre tous les éléments qui permettent de jeter les bases de l’unité africaine. Comment ne pas insister ici sur ce que doit être le rôle et le devoir des Etats africains dans la promotion des Etats-Unis d’Afrique ? Les responsables politiques africains doivent être les premiers à prendre conscience que le corps de l’Afrique est cousu de frontières artificielles qui hypothèquent le développement du continent et que par conséquent, ils doivent considérer la question de l’unité du continent comme un élément majeur de leur politique. On pourrait dire que l’intégration africaine n’est pas un projet politique parmi d’autres. C’est le projet opératoire par excellence pour donner aux sociétés africaines une configuration moderne en leur faisant triompher de l’ethnicisme et de toutes ses formes de régionalisme. C’est le projet politique (au sens de polis) qui ouvre aux peuples africains une autre perspective pour construire une nouvelle Afrique. Or, « une Afrique nouvelle émergente et intégrée ne peut se réaliser pleinement que si sa “population considérable de jeunes” qui est son avantage démographique, est mobilisée et équipée pour aider dans la conduite du programme d’intégration, de paix et de développement de l’Afrique »[23].

Cette vision découle de la croyance et de la conviction qu’un leadership fort et responsable et une intégration réussie doivent être fondés sur la participation, l’investissement et l’intégration de l’énorme potentiel de la population dont les jeunes sont un pilier essentiel. A la question : « quelles sont les grandes questions qui se posent aujourd’hui en Afrique ? », le professeur Joseph Ki-Zerbo répond : « Parmi les grandes questions, il y a d’abord celle de l’Etat » et il ajoute aussitôt : « ensuite, il y a la question de l’unité et de l’émiettement de l’Afrique. Mon idée (…), c’est que l’Afrique doit se constituer à travers l’intégration »[24].  Pour lui : « sans l’unité, nous ne sommes rien. Je dis bien nous ne sommes rien, je ne dis pas nous n’avons rien »[25].

  1. L’intégration africaine : in instrument essentiel pour l’avenir de l’Afrique

On peut penser que les espoirs et les idées de la jeunesse africaine ne deviendront vraiment intelligibles qu’au cœur d’une Afrique unie, forte, réconciliée, libérée de ses identités meurtrières et nourrie par le dialogue pacifique de ses identités multiples. L’intégration régionale est un instrument essentiel pour l’avenir de l’Afrique. Ces dernières années, les intellectuels africains l’ont affirmé fortement : la constitution des Etats-Unis d’Afrique noire est la seule voie qui ouvre des perspectives nouvelles pour le continent. L’intégration africaine est perçue comme la seule réponse convaincante au défi de la mondialisation ultralibérale et la planche de salut la plus sûre pour le continent africain.

Pour Joseph Ki-Zerbo, « l’option panafricaniste, aujourd’hui comme hier, demeure incontournable »[26]. Dans son Appel à la Jeunesse Africaine, Théophile Obenga affirme que « le futur de l’Afrique est panafricain, uniquement panafricain, toujours panafricain (…) Réanimer et revivre l’identité politique panafricaine, à travers les intégrations régionales et continentales, est le parcours adéquat vers le développement »[27]. Pour Cheikh Hamidou Kane, « L’Afrique doit s’unir, réellement, véritablement, rapidement, mettre en commun ses ressources humaines, au premier rang desquelles sa jeunesse, et ses ressources matérielles, parmi les plus considérables et les plus convoitées de la planète»[28]. Pour Edem Kodjo, « il n’y a pas d’avenir pour l’Afrique sans le panafricanisme et il ne saurait y avoir de renaissance véritable sans ressourcement au vin fort du panafricanisme »[29]. Pour Amzat Boukari-Yabara, « l’histoire du panafricanisme donne des clés pour comprendre, et parfois résoudre, les questions et les problèmes qui se posent à l’Afrique et que se posent les Africains »[30]. Plus récemment encore, au colloque « Penser et écrire l’Afrique », au Collège de France à Paris, l’historien et politologue camerounais, Achille Mbembe demandait que nous travaillions « à ouvrir l’Afrique à elle-même » en faisant de ce vaste continent un espace de circulation. Plus précisément, pour lui, « Il faut récupérer dans l’histoire précoloniale du continent la notion de transnationalité, retrouver cette circulation qui existait autrefois à travers les empires caravaniers et le commerce à longue distanceIl faudrait arriver à l’abolition des frontières héritées de la colonisation, car nul ne veut des Africains ailleurs »[31].

Le projet d’une fédération continentale africaine doit mobiliser les énergies des jeunes africains. Certes, le projet d’une Afrique unie peut paraître utopique pour certains. Mais, « l’utopie panafricaine est salutaire. Etant politique, elle peut devenir réalité demain »[32].

Il y a vraiment nécessité et urgence à éveiller chez les jeunes africains tous les sentiments qui leur permettent de participer à la construction d’une Afrique unie, parce que c’est notre intérêt de travailler à l’émergence d’une Afrique unie, politiquement stable, économiquement forte, raisonnablement gouvernée et capable d’éduquer sa jeunesse et de fournir un emploi à ses populations. Selon Landing Savane, l’enjeu est tellement important que les intellectuels et les leaders d’opinion africains devront faire appel à la jeunesse africaine pour imposer, par des mobilisations pacifiques à travers le continent, la seule voie qui ouvre des perspectives nouvelles pour le continent, celle de la constitution des Etats-Unis d’Afrique noire. Le rendez-vous de l’histoire avec l’Afrique ne saurait finalement exister sans la jeunesse africaine.

IV. La jeunesse, espoir de l’Afrique

  1. La jeunesse : force pour le présent et pour l’avenir

Lors de son Allocution devant le parlement du Ghana le 11 juillet 2009, le Président Barack Obama disait à propos du destin de l’Afrique que ce « seront les jeunes, débordant de talent, d’énergie et d’espoir, qui pourront revendiquer l’avenir que tant de personnes des générations précédentes n’ont jamais réalisé »[33]. Il est clair que l’Afrique aujourd’hui est un continent qui possède une très grande force que certaines parties de notre monde n’ont plus : sa jeunesse. Cet élément démographique est un véritable « lieu » pour penser l’Afrique de demain, car c’est la jeunesse africaine qui constituera l’Afrique de demain.

Dans son Plan d’action pour la décennie 2009-2018 intitulé Décennie Africaine de la Jeunesse, l’Union Africaine note que « la population africaine est estimée à plus de un milliard de personnes dont plus de 60% sont des jeunes hommes et femmes âgés de 15 à 35 ans ». Mais, poursuit le document,  « la majorité des jeunes africains sont toujours confrontés aux: chômage, sous-emploi, manque de compétences, éducation appropriée, accès au capital, besoins non satisfaits (…) La plus grande proportion de jeunes n’a pas la possibilité de développer pleinement son potentiel et de contribuer efficacement à la réalisation de la vision affirmée et à la mission des dirigeants africains »[34].

Cette triste situation crée de la révolte chez la jeunesse africaine. Après le « printemps arabe », nous avons assisté à la naissance du « printemps noir ». Très précisément, nous avons été témoins de la manière dont la jeunesse a exprimé, au Nord comme au Sud du Sahara, depuis 2011, son « ras-le-bol » à travers le rejet de la mal-gouvernance, de la pauvreté, du coût de la vie qui augmente sans cesse, de la faim qui menace, du désespoir devant son impuissance et la non-reconnaissance de ses compétences. Ne croyant plus en la politique et n’ayant plus de repères, la jeunesse africaine s’invente elle-même les moyens de sa survie, réclamant un avenir différent de celui qu’ont préparé les « présidents fondateurs ». Elle trouve les moyens de son expression : la musique, la danse, ainsi que les réseaux sociaux. Mais aussi la « rue » et les « pneus ». Comme le note Aminata Diallo Thior, « à défaut d’écoute de la part de l’Etat, la rue et les pneus en feu sont devenus terrain et moyen d’expression »[35]. N’oublions pas non plus les réseaux sociaux, nouveaux champs d’expression, qui servent aujourd’hui de caisse de résonnance pour faire changer les choses. Bref, la jeunesse africaine s’organise en réseaux, en associations et en mouvements, faisant naître ainsi une nouvelle force dans le dispositif socio-politique du continent : la société civile.

  1. Des jeunes capables d’innovation

Les jeunes d’aujourd’hui sont ouverts sur le monde. Ils n’éprouvent pas de problèmes culturels avec les clivages qu’on connait souvent ici et là. Ils pensent plus « nation », « continent » que « ethnie » et « tribus », même s’ils savent qu’ils sont de « quelque part ».

Ils savent ce que c’est que la contestation, la résignation, mais aussi l’innovation. Ils sont branchés sur la mondialisation et grâce aux jeunes, l’image de l’Afrique est en train de changer. Hier, la jeunesse africaine se battait pour les indépendances. Aujourd’hui cette même jeunesse se bat pour une culture démocratique, une culture citoyenne et une Afrique unifiée autour des concepts d’intégration et de renaissance africaine. A travers le continent, on constate une nouvelle forme d’organisation sociale qui devient le porte-parole du peuple dont le but est de défendre ses aspirations. Cela a été vrai avec le mouvement « Y’en a marre » au Sénégal, le « Balai citoyen » au Burkina Faso, les sociétés civiles en Guinée, au Ghana, etc. Derrière l’action de ces mouvements, on peut déceler une véritable ambition panafricaine. Si ces mouvements de jeunesse combattent tous ceux qui « blessent » la bonne gouvernance, ils vénèrent tous ceux qui se sont battus pour l’unité africaine. Ils rêvent de bonne gouvernance, d’unité et d’intégration africaine, de renaissance africaine…Leurs héros s’appellent Cheikh Anta Diop, Jomo Kenyatta, Frantz Fanon, Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Thomas Sankara etc.

L’avenir de l’Afrique a besoin de la jeunesse africaine et la jeunesse africaine a besoin du passé de l’Afrique pour bâtir l’avenir. C’est ici que prend place l’éminente importance de l’éducation de la jeunesse africaine. Placée au carrefour de de la culture et de l’histoire, l’éducation doit être un élément catalyseur pour la jeunesse africaine. C’est l’éducation qui introduira une mutation positive dans l’esprit des jeunes pour les rendre décomplexés et fiers de leur identité africaine, car sans identité, nous sommes un objet de l’Histoire comme dirait Joseph Ki-Zerbo. C’est en raison de cela qu’il faut connaître l’histoire, car l’histoire permet de se connaître tel qu’on est et sans complaisance. L’histoire apporte la lumière de la vision vers l’amont et sert ainsi de remède et de levier pour l’aval. Ainsi, si l’espérance comme projection en avant est nécessaire, elle ne peut l’être vraiment que si la « projection » vient de « quelque part ».

V. L’espérance suffit-elle à la jeunesse africaine ?

  1. Ne pas perdre la mémoire du passé

Aussi nécessaire soit-elle, l’espérance ne suffit pas. Ou, pour être plus juste, disons que la projection « en avant » ne doit pas creuser un vide « en arrière ». L’enjeu donc est d’aider la jeunesse africaine à ne pas perdre le passé, à ne pas perdre la mémoire de l’histoire. Sur l’ensemble du continent africain la mémoire se pose souvent dans les termes d’un passé douloureux : esclavage, colonisation, impérialisme occidental etc. Tout cela a modelé l’image de marque de l’Afrique à la mesure des intérêts extérieurs, en enfonçant chez des générations africaines entières, les racines de la dépendance et de l’aliénation. Mais ce passé douloureux peut aussi devenir gros d’espérance si nous savons l’assumer comme une base permettant de créer un futur nouveau et différent[36]. Cela suppose que la jeunesse africaine connaisse l’histoire de l’Afrique, ce qui oblige à continuer à travailler à garder la mémoire du passé, à garder une relation vivante avec le passé. Il s’agit de connaître le passé, non pas par souci généalogique, mais pour se libérer de l’irrationnel.

Il s’agit donc d’aller au passé, non pour le présent, mais pour le futur. S’adressant à la jeunesse africaine le 27 juillet 2007 dans un discours que certains intellectuels africains ont qualifié, à raison, de « n’importe quoi »[37], Nicolas Sarkozy s’était érigé en « directeur spirituel » de la jeunesse africaine en l’invitant à ne pas «ressasser » le passé. Nous savons qu’il a reçu une réponse à la taille de sa méconnaissance de l’Afrique et du rapport que, partout, l’humain doit établir avec l’histoire pour son devenir[38]. Pour être maîtres de notre gestion, pour maîtriser le présent et construire l’avenir, il importe de ressasser le passé. « Le passé est à ressasser, car l’homme n’est pas une goutte d’eau tombé du ciel ; il faut protéger la racine pour que les fleurs soient belles, les fruits abondants »[39]. Il faut rechercher le passé, car, comme le dit Makhily Gassama, il est « levain du présent, truelle pour bâtir l’avenir »[40]. Nous n’y pouvons rien : partout dans le monde, nous vivons dans des sociétés qui se définissent et qui s’identifient dans une mémoire. Même sur le plan personnel, c’est à travers les éléments traversés, les périodes qui ont marqués notre vie, que nous nous définissons. Mieux encore, les peuples, les nations, les sujets collectifs ne se comprennent que dans la construction d’un ensemble de relations avec le passé.

  1. La mémoire du passé ouvre la possibilité d’un avenir et favorise l’estime de soi

La conscience du passé ouvre la possibilité d’un avenir. Un des mérites de Cheikh Anta Diop est d’avoir su déceler assez tôt que l’histoire du continent africain a été falsifiée pour les besoins d’une certaine cause, que les traditions ont été travesties, et la culture bafouée pour mieux inféoder les africains aux volontés des métropoles qui se sont partagées le sol africain. Et c’est Cheikh Anta Diop, qui, fouillant et interrogeant l’Histoire, enseigne aux enfants d’Afrique noire qu’ils doivent étudier le passé non pour s’y complaire mais pour y puiser des leçons[41]. Au Congrès des écrivains et artistes noirs de 1956, Aimé Césaire soulignait que «  la voie la plus courte vers l’avenir est toujours celle qui passe par l’approfondissement du passé »[42]. En s’enracinant dans le passé, « l’Afrique devra porter son regard vers ce qui est neuf. Elle devra se mettre en scène et accomplir, pour la première fois, ce qui n’a jamais été possible auparavant. Il faudra qu’elle le fasse en ayant conscience d’ouvrir, pour elle-même et pour l’humanité, des temps nouveaux »[43].

La mémoire du passé doit contribuer à l’estime de soi, à la valorisation de soi. Les psychologues considèrent l’estime de soi comme quelque chose de fondamental dans la maturation humaine. L’estime de soi est un facteur déterminant pour le développement de l’Afrique. L’estime de soi signifie avoir conscience de ses valeurs, de ce que l’on est, de ce que l’on veut être. C’est une façon de dire « moi je veux être ceci et je suis capable de l’être!» Cela a donc un lien avec la dignité. L’esclavage et la colonisation ont structurellement déconstruit la dynamique africaine.  Il fallait procéder à sa reconstruction, et libérer l’Afrique de la servitude, ce qui, au demeurant, équivalait chez beaucoup de penseurs africains, à l’acquisition du pouvoir formel de décider de soi de façon autonome. L’enjeu était de mettre les peuples africains en condition de publier une version moderne de l’africanité en réinterprétant leur moi collectif. C’est la tâche à laquelle s’est attelé Joseph Ki-Zerbo. La quête et la conquête de l’identité consiste à faire de l’Afrique un continent qui répond désormais de lui-même. « Il ne s’agit plus, écrit Ki-Zerbo, d’être à la remorque ou à la périphérie de quelqu’un d’autre, mais d’être au centre de nous-mêmes ». On peut donc considérer qu’il est nécessaire, en cultivant l’estime de soi chez les jeunes, de revaloriser ce qui a été mis à mal par les nations européennes. L’enjeu est vraiment important à l’heure où beaucoup de jeunes fuient l’Afrique. Il s’agit précisément de cultiver, de transmettre une certaine idée de l’histoire propre des sociétés africaines qui permette la renaissance africaine. Deux exemples : les réflexions philosophiques produites par des Africains ne pas enseignées dans les universités africaines. Cheikh Anta Diop et Joseph Ki-Zerbo ne sont pas encore des «cadres de références » pour penser l’Afrique d’hier à aujourd’hui. La question de l’estime de soi provoque aussi à ne pas définir la jeunesse africaine en fonction de ce qu’elle n’a pas, de ce qui lui manque. Il faut lui donner les moyens de se « projeter en avant ». Il y a peu de temps, dans son livre Afrotopia, Felwine Sarr a affirmé que « l’Afrique n’avait personne à rattraper ». Beaucoup de gens ont eu du mal à accepter cela, considérant que cela signifie que l’Afrique n’a pas de défis à relever. Or, au fond, les défis existent. Toutefois, pour Sarr, les défis relèvent plus de nos potentialités que d’un rattrapage. Un grand nombre de jeunes sont très heureux qu’on leur dise aujourd’hui que le continent africain n’est pas à la traine. A leurs yeux, c’est une forme de réhabilitation, un mot de réconfort et l’expression d’une réalité qu’ils vivent, mais dont personne ne restitue la complexité. En Afrique, nous avons encore une image dégradée de nous-mêmes. Nous avons beaucoup intériorisé des discours qui nous confinent à une place de subalterne, à une humanité reléguée. À tel point que nous ne voyons plus les qualités qui sont les nôtres, parce que les autres ne les (re)connaissent pas.

Conclusion : l’avenir et le futur sont à bâtir, à construire !

Dans un petit livre, Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance[44], Jean-Claude Guillebaud rapporte cette injonction paradoxale du quatrième commandement hébraïque que nous trouvons dans le livre du Deutéronome dans la Bible : « Souviens-toi du futur » (Cf. Deut. 25, 17-19).  Ce propos biblique enjoint l’homme de se souvenir de « son » futur. Et J-C. Guillebaud commente : « se rappeler le futur, c’est ne pas oublier que nous sommes en chemin vers lui, en marche vers un avenir dont nous pensons qu’il sera meilleur »[45]. Cet avenir-là est à bâtir, à construire, car « le futur est l’autre nom de cette force qu’est la force d’autocréation et d’invention »[46].

On peut considérer que l’urgence pour l’Afrique, c’est d’enraciner sa jeunesse dans un passé, dans une mémoire, une tradition, pour déployer cela vers un futur, un projet, un dessein individuel et collectif. Le destin n’existe que choisi, construit et la construction s’enracine dans une tradition attentivement transmise et constamment revisitée. Autrement dit, le passé lui-même fonde le futur. Malgré « la prolifération de l’angoisse » (Luc Ferry), notre tâche, la tâche de la jeunesse africaine est de ne pas abandonner l’Afrique, de ne pas la laisser mourir. C’est notre « avancée » collective vers l’avenir qui donnera du sens au destin de notre continent. Faut-il le rappeler : l’espérance collective a été le moteur puissant du cours de l’histoire. Elle a nourri des engagements et des dévouements. Elle a mis en marche des individus pour des actions collectives et c’est sur elle que se sont fondés les pères des indépendances africaines. C’est elle qu’il faut transmettre à la jeunesse africaine. Maintenant.

 

Jean-Paul Sagadou

Initiateur des Voyages d’intégration africaine (V.I.A)

[1] Pascal DROUHAUD, « L’Afrique, un nouvel horizon », in Géopolitique Africaine, n° 41, quatrième trimestre, 2011, pp. 223-227.

[2] Cf. Le Monde, Hors-série, Afrique l’envol, Janvier 2015.

[3] Pascal DROUHAUD, « L’Afrique, un nouvel horizon », in Géopolitique Africaine, n° 41, quatrième trimestre ; 2011, p. 227.

[4] Achille MBEMBE, in Le Monde, Hors-série, Afrique, l’envol ; janvier 2015.

[5] Jean-Michel SEVERINO, Olivier RAY, le temps de l’Afrique, éd. Odile Jacob, Paris, 2011.

[6] Stephen SMITH, Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt, op.cit., p. 227.

[7] Idem, p. 231.

[8] Noureddine AFFAYA et Driss GUERRAOUI, L’Afrique vue par ses jeunes. Le chaos et l’espoir, harmattan, 2007, p. 32.

[9] Nous reprenons ici le titre du livre d’Achille MBEMBE, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, éd. La Découverte, Paris, 2010.

[10] Idem, p. 13.

[11] Landing SAVANE, Le grand tournant du XX° siècle. Un regard africain sur le siècle des ruptures, Presses Panafricaines, 2015, pp. 292-293

[12] Nicolas BAVEREZ, « Le réveil de l’Afrique, nouveau continent émergent », in Géopolitique Africaine, n° 40, Troisième trimestre 2011, p. 148.

[13] Cf. Valentin MUDIMBE, The Invention of Africa, Bloomington, Indiana University Press, 1994.

[14] Landing SAVANE, Le grand tournant du XX° siècle, op. cit, p. 372

[15] Rapporté par Landing SAVANE, op. cit, p. 354.

[16] Expression utilisée par Philippe Collomb dans son texte « Quelle sécurité alimentaire pour les pays en développement en 2050 ? », in AA. VV, Les clés du XXI° siècle, Unesco/Seuil, Paris, 2000, p. 146. (Sous la Direction de Jérôme BLINDE)

[17] Spéro Stanislas ADOTEVI, « Un nouvel éveil des peuples ? », in Géopolitique Africaine, N° 40, troisième trimestre, 2011, p. 122.

[18] Depuis 2009, six éditions des voyages d’intégration africaine ont déjà été réalisées dans cinq pays différents avec des thèmes différents et regroupant chaque année plus de 50 jeunes de pays différents : le Burkina Faso en 2009 avec  comme thème : « l’intégration africaine », le Bénin en 2010 avec « intégration et rencontre des cultures » comme thème, le Mali en 2011 avec le thème : « intégration et renaissance africaine », en 2012 en Côte d’Ivoire avec comme thème : « Réconciliation et intégration africaine », en 2013 au Togo avec le thème : « Citoyenneté et intégration africaine », en 2015 au Sénégal avec le thème : « Intégration africaine et culture démocratique, en 2017 au Ghana avec le thème : « La jeunesse africaine et afro-descendante face au panafricanisme : Nkrumah et la reconstruction de l’Afrique ».

[19] Cf. Ernst BLOCH, le Principe d’espérance, éd. Gallimard, Paris, 1982.

[20] Expression empruntée à J-C. Guillebeaud, p. 14.

[21] Cf. Jean-Claude GUILLEBAUD, Une autre vie est possible, op.cit., p. 56-57

[22] Tanella BONI, « Des jeunes en quête d’avenir », in 50 ans après quelle indépendance pour l’Afrique, éd. Philippe Rey, Paris, 2010, p. 67.

[23] Cf. UNION AFRICAINE, Décennie Africaine de la Jeunesse, Plan d’Action 2009-2018/ www.africa-union.org

[24] Joseph KI-ZERBO, A quand l’Afrique ?, Entretien avec René Holenstein, Lausanne, Suisse, 2013, Editions d’en bas, (Première édition : 2003 ; éditions de poche : 2004)

[25] AA. VV ; Au professeur Joseph Ki-Zerbo. Hommages et témoignages, Série Etudes et Recherches, n° 277, Dakar, p. 123.

[26] Joseph KI-ZERBO, Repères pour l’Afrique, Ed. Panafrika/Slex/Nouvelles du Sud, Dakar, 2007, p. 180.

[27] Théophile OBENGA, Appel à la jeunesse africaine, éd. Ccinia communication, 2007, p. 73.

[28] Cf. Cheikh Hamidou KANE, Préface au livre de Aminata TRAORE, L’Afrique humiliée, Fayard, Paris, 2008, p. 18-19.

[29]Edem KODJO, Panafricanisme et Renaissance africaine, Ed. Graines de Pensées, Lomé, 2013, p. 7.

[30]Amzat BOUKARI-YABARA, Africa Unite ! Une histoire du panafricanisme, Ed. La découverte, Paris, 2014, p. 286-287.

[31] Cf. Le Point Afrique – Publié le 05/05/2016 à 16:13 – Modifié le 05/05/2016 à 18:03

[32] Théophile OBENGA, op.cit, p. 104.

[33] Barack OBAMA, « L’Afrique, une partie fondamentale de notre monde », in Géopolitique Africaine, n° 45, 2012, pp 9-20.

[34] Cf. UNION AFRICAINE, Décennie Africaine de la Jeunesse, Plan d’Action 2009-2018.

[35] Cf. Agence Française de Développement, Conférences idées pour le développement : « Les jeunes en Afrique : peut-on répondre à leurs attentes ? ». Conférence du 2 décembre 2014. Voir Document de synthèse in www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/ELEMENTS_COMMUNS/PDF/ iD4D/

[36] Voir à ce propos, ce qu’écrit Achille MBEMBE, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, éd. La Découverte, 2010, p. 53.

[37] Souleymane Bachir DIAGNE, « La faute à Hegel… » In L’Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar, AA. VV, éd. Philippe Rey, Paris, 2008, p. 150 (Sous la direction de Makhily Gassama)

[38] Cf. AA. VV, L’Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar, éd. Philippe Rey, Paris, 2008 (sous la direction de Makhily GASSAMA)

[39] Makhily GASSAMA, « le piège infernal », in L’Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar, AA. VV, éd. Philippe Rey, Paris, 2008, p. 15. (Sous la direction de Makhily Gassama)

[40] Idem, p. 17

[41] Cf. Cheikh ANTA-DIOP, Alette sous les tropiques, Présence Africaine, Paris 1990, p. 130.

[42] Cf. « Le 1er Congrès international des écrivains et artistes noirs. Paris, Sorbonne, 19-22 septembre 1956. Compte-rendu complet », Présence africaine, n° 8-10, 1956.

[43] Achille MBEMBE, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, éd. La Découverte, Paris 2010, P. 243.

[44] J-Claude GUILLEBAUD, op. Cit, p. 117.

[45] Idem, p. 117.

[46] Achille MBEMBE, Sortir de la grande nuit, op. Cit, p. 56.



Conditions de participation

– Etre âgé (e) de 20 à 40 ans.
– Vouloir vivre une expérience humaine, interculturelle, inter-religieuse et panafricaine.


Modalités d’inscription

– Curriculum vitae
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